Vendredi 11 août 1815

De Une correspondance familiale


Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à sa belle-mère Rosalie Duval (Amiens)



n° 234

Paris 11 Août 1815

Ma très chère Maman

Je ne veux point laisser partir Montfleury[1] sans lui remettre quelques lignes pour vous ; Je n’aurais sûrement pas laissé écoulé tant de temps sans écrire à Amiens, sans tous les tourments successifs par lesquels nous sommes passés depuis quelques mois ; D’abord les inquiétudes politiques qui ont été prolongées et assez vives[2] ; et depuis, nos soucis particuliers qui ont été des plus pénibles et des plus grands. Vous les avez sus et vous les aurez bien compris. Enfin nous avons la joie de voir ce cher petit Auguste[3], cet enfant délicieux par son caractère et par ses grâces, être en pleine convalescence. Ce qui nous prouve qu’il s’achemine tous les jours davantage vers un rétablissement complet, c’est son appétit et sa gaieté, mais il reprend bien peu de forces et ne veut point du tout se tenir sur ses pieds. Il est d’une maigreur extrême, qui je crois ne se passera que bien lentement. Enfin j’espère que nos soins continus, notre surveillance de toutes les minutes, le ramèneront avant ma couche au bon état de santé dans lequel il était ce printemps, et qui nous rendait tous si heureux. Sa bonne Maman Delaroche[4] l’aime avec une tendresse difficile à rendre, aussi vous jugez bien que le chagrin de le voir malade a été proportionné à cette tendresse ; Les soins qu’elle a pris à cette occasion, et les fatigues du déménagement[5] n’ont pas trop éprouvé sa santé comme j’en avais la crainte, et nous avons la satisfaction de la voir en assez bien portante ; Nous avons celle aussi de la voir logée plus gaiement et plus commodément que rue Montmartre. Nous sommes tous bien plus agréablement logés, et Constant[6] jouit beaucoup d’un petit jardin dont nous avons l’entière jouissance. Aussi depuis que nous sommes dans cette maison il a repris un bon teint et un air de santé qu’il avait un peu perdu depuis quelque temps. Les petites études souffrent un peu de cette dissipation habituelle, cependant nous avons lieu par moments d’être fort satisfaits de son application. Nous avons lieu de l’être toujours davantage de son caractère bon et véridique.

Montfleury part, avec un air de bonheur, de penser qu’il va revoir sa famille et son pays, qui fait plaisir à voir. Je pense que vous le trouverez encore grandi, et que vous serez contents de son air bien portant. Nous avons bien joui de ses succès dans ses études et je pense que maintenant il se félicite bien d’avoir complété son année chez M. Butet. Nous avons longtemps espéré que cet été nous vaudrait une petite visite de ma belle-sœur Reine[7], puisqu’elle avait pensé à en faire une à Mme Cordier à St Germain. Nous espérons que ce ne sera qu’une chose renvoyée, et que l’été prochain sera plus tranquille sous le point de vue politique, ce qui lui permettra de faire ce voyage. J’espère que dans la famille tout le monde est bien portant, je vous prie de présenter à chacun toutes nos amitiés, et nos tendres respects à notre cher Papa[8]. J’espère aussi que vous êtes ainsi que lui, contents de votre santé et que les inquiétudes politiques ne prennent pas trop sur votre tranquillité d’esprit. Votre fils Constant[9] a lieu en général d’être content de sa santé, cependant les peines de cœur et les fatigues qu’il a éprouvées dans ces derniers temps, lui ont valu quelques malaises et migraines dont il est remis maintenant. Nos fatigues auraient été bien plus grandes si nous n’avions pas eu le bonheur d’être secondés dans nos travaux et dans nos soins pour Auguste, par quelques-uns amis de nos amis entr’autre M. Cloquet et son frère[10] qui nous ont été de la plus grande utilité ; Leur attachement pour nous leur a fait mettre, à nous seconder, un zèle qui nous a été des plus précieux. Je suis devenue si lourde depuis quelque temps, et si peu en état de prendre une fatigue soutenue que j’ai dû laisser agir beaucoup les autres pour moi. Ni le mouvement ni la voiture ne me conviennent de manière que je reste presque continuellement chez moi.

Maman me recommande de vous présenter de sa part mille civilités empressées ainsi qu’à mon beau-Père et à ma sœur[11]. Veuillez dire à cette dernière que ma Tante Castanet[12] a été très sensible à son souvenir et lui présente mille compliments. Nous vous prions d’adresser nos respects à nos Tantes d’Oisemont[13]. Je crois que vous allez avoir le plaisir de voir ma belle-sœur Montfleury[14], nous vous prions de lui faire nos sincères amitiés. Recevez je vous prie ma très chère Maman l’expression de notre tendre et respectueux attachement

Alphonsine Duméril

Je joins ici une petite note pour M. Duval[15], pour qu’il nous fasse parvenir des biscuits d’Abbeville, j’en remets le montant à Montfleury.

Tout l’hiver dernier je me suis mise à l’abri du froid, et j’ai trouvé d’un porter très agréable un bon jupon de laine dont ma belle-sœur a eu la complaisance de me faire l’emplette, et par un effet de mon caractère oublieux j’ai toujours négligé de lui en envoyer le montant. Je lui fais mille excuses de cette très grande négligence et je lui envoie 18ll que je crois que coûte ce jupon, en lui faisant beaucoup de remerciements de ce qu’elle s’était occupée de me faire cette emplette.


Notes

  1. Florimond dit Montfleury (le jeune), neveu d’André Marie Constant Duméril, poursuit des études de médecine à Paris.
  2. Alphonsine fait allusion au retour de Napoléon, à la période des Cent-Jours (mars-juin 1815) marquée par la reprise de la guerre et, après Waterloo, à la restauration de Louis XVIII.
  3. Auguste Duméril.
  4. Marie Castanet, veuve de Daniel Delaroche, mère d’Alphonsine.
  5. Les Duméril ont quitté la rue Montmartre pour le 3 rue du faubourg Poissonnière ; Mme Delaroche habite à la même adresse.
  6. Louis Daniel Constant Duméril.
  7. Reine Duméril.
  8. François Jean Charles Duméril.
  9. André Marie Constant Duméril.
  10. Hippolyte et Jules Cloquet.
  11. Sa belle-sœur Reine Duméril.
  12. Elisabeth Castanet.
  13. Basilice Duval et Geneviève (veuve d’Antoine de Quevauvillers), sœurs de Rosalie.
  14. Florimond dit Montfleury (l’aîné), frère d’AMC Duméril, est marié à Catherine Schuermans.
  15. Augustin Duval est lié par son épouse à Louis Say, industriel à Abbeville.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 3ème volume, p. 137-141)

Annexe

A Madame

Madame Duméril à Amiens

Pour citer cette page

« Vendredi 11 août 1815. Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à sa belle-mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_11_ao%C3%BBt_1815&oldid=56168 (accédée le 21 novembre 2024).

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