Samedi 7 novembre 1914

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris)


original de la lettre 1914-11-07 pages 1-4.jpg original de la lettre 1914-11-07 pages 2-3.jpg


 BRUNEHAUTPRÉ
Campagne-les-hesdin 
BRIMEUX
PAS-DE-CALAIS[1]

7 Novembre

Mon cher Louis,

Je ne sais si ton papa[2] a mis dans la sa lettre de à Lucie[3] la démarche qu'il a faite pour toi à St Omer. Il a pu vérifier que tu as obtenu de faire ton service au 41e. Tu n'as donc aucune préoccupation à avoir de ce côté.

Nous avons aujourd’hui une bonne lettre de Pierre[4] qui a laissé son mal d'estomac et sa fatigue sous le toit où il s'est reposé pendant 12 jours et qui paraît ravi d'avoir retrouvé les nuits en plein air et les émotions de la bataille.

Nous n'avons pas repris nos anciennes positions, dit-il, nous avons appuyé pas mal à gauche. Nous soutenons ici des gaillards du Midi (région de Bordeaux et Gascogne) qui ont mauvaise réputation dans notre armée ; nous avons pu nous assurer récemment qu'elle n'était pas surfaite et qu'ils filaient comme des lapins. Dans le petit patelin où nous sommes depuis cette nuit et où les obus pleuvent, ils se cachent dans les caves, et nos gars du Nord se moquent d'eux tant qu'ils peuvent en gasconnant. ça passe le temps.

Il dit aussi avoir reçu une lettre de Corpet, une de toi et se trouve convenablement ravitaillé de nouvelles ce qui paraît lui être extrêmement agréable. Enfin il ajoute en P.S. que son capitaine a levé le lendemain les arrêts de rigueur qu'il lui avait donnés pour ses 2 minutes de retard.

Jacques[5] a quitté hier Pellouailles[6] : son dépôt est transporté à Quincé-Brissac à 18 kilomètres S.E. d'Angers où il y a également poste et télégraphe. Il prétend que ce changement tient à ce que le Commadant ne se trouve pas bien logé à Pellouailles et veut être hébergé dans le Château de la Comtesse de Tredern[7]. Cette dame est notre cousine, parce que fille du raffineur Constant Say ; je l'explique à Jacques qui ne le sait pas, je pense. Il paraît que, si le Commadant doit être mieux logé, l'escadron le sera beaucoup moins bien, les chevaux surtout.

Le Télégramme donne ce matin des renseignements sur Lille apportés le 4 Novembre par quelqu'un qui a pu en sortir. Je m'empresse de les envoyer à J.[8] car on dit que tout est calme depuis l'entrée des Allemands et que les dégâts du bombardement ne sont pas aussi effroyables qu'on l'avait dit d'abord ; en tous cas circonscrits au quartier de la gare, de sorte que les Vandame ont été à l'abri qu'ils soient rue du Gros Gérard ou à St André.

Ton papa continue à prendre ses précautions pour le cas où notre ligne serait percée à Arras où l'ennemi donne un gros effort dans ce but et il prévoit la « bataille de la Canche ». En conséquence, il a engagé M. de Ste Maresville[9] et Poupart à battre leurs récoltes et vider leurs granges afin de diminuer les chances d'incendie. Il l'a fait faire aussi à Dommartin, mais Paul[10] n'est entré que partiellement dans ses vues avec une désinvolture qui n'appartient qu'à Paul !...Désiré[11] est retrouvé. Il est de nouveau à Dunkerque, ayant échappé d'une manière étonnante aux Allemands qui ont fait beaucoup de prisonniers parmi la petite troupe que le général Plantey avait emmenée à Douai et dont l'expédition audacieuse n'a d'ailleurs pas été inutile, paraît-il.

Crois-tu à la mort du Kronprinz[12] et de von Kluck[13] ?

Ton papa t'a engagé télégraphiquement à te faire inoculer le virus typhoïque. A qui t'adresseras-tu ? je pense que tu t'es déjà renseigné. J'espère que tu ne seras pas aussi malade qu'Henriet. M. Hallette trouve que c'est une très utile précaution et nous a beaucoup conseillé de te la faire prendre. Il y a de la diphtérie à St Rémy et de la scarlatine à Campagne parmi les Maubeugeois ; 3 enfants de chez nous sont pris et soignés à l'hôpital.

Je t'embrasse tendrement, cher petit ainsi que ta sœur et la bande des mioches[14]

Emy

Nous avons aujourd’hui une bonne carte de Guy[15]. Je suis descendue[16] pour la première fois.


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Damas Froissart.
  3. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote ; elle héberge son frère Louis Froissart.
  4. Pierre Froissart, frère de Louis.
  5. Jacques Froissart, frère de Louis.
  6. Pellouailles et Brissac Quincé sont dans le Maine-et-Loire.
  7. Jeanne (Marie) Say, veuve de Chrétien René de Tredern.
  8. Jacques Froissart époux d’Elise Vandame.
  9. Narcisse de Sainte Maresville.
  10. Paul Malvache.
  11. Selon la famille Froissart, probablement Désiré Debavelaere.
  12. Guillaume de Hohenzollern, né à Postdam en 1882, mort à Hechingen en 1951, dit le Kronprinz.
  13. Alexander von Kluck (1846-1934), commandant de la première armée allemande.
  14. Lucie Froissart et ses enfants : Anne Marie, Suzanne, Georges et Geneviève Degroote.
  15. Guy Colmet Daâge, beau-frère de Louis.
  16. La chambre est à l’étage.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 7 novembre 1914. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_7_novembre_1914&oldid=56248 (accédée le 29 mars 2024).

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