Samedi 27 août 1870 (B)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1870-08-27B pages1-4.jpg original de la lettre 1870-08-27B pages2-3 (avec mentions ultérieures).jpg


Paris

27 Samedi 3 h

Mon cher Charles,

Ta dernière lettre reçue est celle de Mercredi et probablement en est-il de même des miennes. Que c'est cruel d'être séparés en ce moment. Mais du courage je t'en prie, ne te laisse pas abattre. Peut-être y aura-t-il encore une éclaircie et pourrai-je aller te retrouver par la Suisse ? Ma gorge ne va pas plus mal, mais je suis encore molle, je ne me suis levée qu'à 11 h mais je te le répète ce n'est rien qui doive te préoccuper je mange et circule dans la maison.

Notre pauvre tante Allain[1] est morte hier soir à 7 h. C'est notre bon père[2] qui l'a assistée, son fils Emile[3] n'a pu arriver qu'à 2 h du matin, il était à Noirmoutier lorsque la dépêche lui est parvenue, il n'a plus eu le bonheur d'embrasser encore sa mère vivante mais pour ma pauvre tante la mort est une délivrance, avec ses souffrances depuis 18 mois, et l'état actuel des choses, on doit se réjouir pour elle de ce que les maux de cette vie ont cessé. L'enterrement aura lieu demain à midi à la campagne[4] ; papa fait en ce moment les démarches nécessaires aux pompes funèbres ; il est probable qu'on remettra à une autre époque le transport au Père-Lachaise[5].

L'indisposition de Julien[6] (la colique) n'est pas revenue cette nuit, il a pu dormir jusqu'à 3 h 1/2 avec les bons soins de maman[7] qui à cette heure-là l'a réveillé pour qu'il se rende à St Maur pour l'appel. On donne facilement les permissions du soir et notre Julien en profite pour venir nous trouver, <   > et peu épaisse sous leur tente.

D'après les proclamations de Trochu la mobile va être appelée prochainement à combattre ; il faut s'attendre à tout.

Toujours pas de nouvelles de Raymond[8]. Et rien de plus de M. Pavet[9].

J'attends tes lettres et tes conseils. Mes pensées sont toujours avec toi, et je souffre comme toi, cher Ami, de cette séparation que je voudrais pouvoir faire cesser sans imprudence.

Ici les nouvelles sont rares comme partout. Rien de Bazaine et le corps du prince Frédéric Charles[10] qui avance vers Paris et <par> contre hier le bruit circulait que c'était vers les provinces de la Loire qu'il se dirigeait.

Et Mme Buffet[11] qui savait que je devais partir hier soir pour Lyon est venue à 6 h 1/2 au Jardin pour me prévenir que 3 personnes sont venues lui dire au Palais de l'Industrie qu'il y avait des troubles à Lyon et qu'elle me conseillait de ne pas me mettre en route avec mes fillettes[12]. Tu vois que mon mal de gorge est peut-être un bien envoyé du ciel. Et d'après cela, même prête j'aurais dû retarder jusqu'à plus ample information. Je ne sais rien de plus encore.

Nos petites filles vont bien, un peu enrhumées, mais la chute de Marie ne laisse pas de traces. Elles viennent de jouer au croquet avec les petites voisines du dessous et Léone de Quatrefages puis Cécile[13] va les mener chez tante Aglaé[14] où elles trouveront Jeanne Brongniart et dîneront avec elle. Ce matin elles ont travaillé ¾ d'heure voilà tout.

Adieu, Ami chéri, j'espère bientôt une lettre de toi toute à toi

Amitiés autour de toi

Eugénie M.


Notes

  1. Marie Emilie Target, veuve de Benjamin Allain.
  2. Jules Desnoyers.
  3. Emile Allain.
  4. La tante Allain habitait Quincampoix en vallée de Chevreuse.
  5. Le Père-Lachaise est un cimetière parisien.
  6. Julien Desnoyers.
  7. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  8. Raymond Duval.
  9. Daniel Pavet de Courteille, mortellement blessé.
  10. Frédéric Charles (1828-1885), prince de Prusse, neveu de l’empereur Guillaume Ier.
  11. Marie Pauline Louise Target, épouse de Louis Joseph Buffet.
  12. Marie et Emilie Mertzdorff.
  13. Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
  14. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 27 août 1870 (B). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_27_ao%C3%BBt_1870_(B)&oldid=42536 (accédée le 18 décembre 2024).

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