Samedi 27 août 1870 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris)

original de la lettre 1870-08-27A pages1-4.jpg original de la lettre 1870-08-27A pages2-3.jpg


Samedi le 27 Août 70.

Chère Nie Nous recevons à l'instant les journaux de la Capitale, mais pas de tes bonnes nouvelles. Nous ici, nous nous trouvons toujours peu rassurés, le peu de nouvelles qu'on nous donne ne sont nullement rassurantes. Il se confirme que les Allemands reçoivent toujours énormément de troupes fraîches. Si ces soldats ne valent pas nos pauvres soldats, si peu nombreux & déjà pas mal entamés. Nous devons être écrasés par le nombre. C'est tout le peuple allemand, bien armé qui se trouve chez nous. Je lis que nous achetons 40 mille fusils en Angleterre que jour & nuit l'on travaille à la fabrication d'armes. C'est nous dire que nous n'en avons pas. Tu vois que je suis toujours très démonté & ne vois que bien noir. L'on va appeler les anciens militaires de 35 ans mariés, les officiers de 60 ans etc. Dernier effort car tous ceux qui n'ont pas tenu de fusils vouloir en faire des soldats ne me paraît possible qu'avec un temps assez long, que nous n'avons pas. Du reste la grande entrave c'est l'administration elle-même. Hier d'anciens militaires sont revenus de Belfort, on les a renvoyés ici, qu'on leur ferait dire lorsqu'on aura le temps de s'occuper d'eux.

Je… Voilà plus d'un 1/4 d'heure que j'hésite. ou te dire que je quitte pour aller te retrouver & t'accompagner en Suisse ou te prier comme déjà dit de nous y retrouver.

Paris m'inquiète énormément, ceci pour toi seule.

Mais j'ai bien des regrets de ne pas avoir suivi mes instincts inquiets & me laisser attacher comme je l'ai fait, par ma mairie.

Je me trouverais tranquille, au moins pour tout ce que j'ai de plus cher. Le reste advienne que pourra. Les lignes de Dijon & même Lyon s'il le faut sont encore libres, elles peuvent ne plus l'être dans 15 jours car le premier soin sera de détruire tous les chemins qui entourent Paris.

Je vois tout cela & bien plus encore que je crains d'exprimer.

Je sais très bien que tu seras moins bien, trop isolée peut-être, que ce séjour peut avoir bien des jours tristes & trop longs. Mais quelle sécurité pour tous.

Voilà, chère amie, mes pensées que j'hésitais à te dire, comprenant très bien tout le désagréable pour toi.

Maintenant je m'efface complètement & vous laisserai toute liberté d'action. A la garde de Dieu !

Tu sais que les lettres arrivent très irrégulièrement, il ne faut pas trop y compter. les télégrammes sont supprimés.

Je comprends que vous hésitiez pour Launay & suis bien de votre avis, par ce que nous voyons journellement, ces gens s'étendent d'une manière incroyable.

L'on parle d'envoyer la mobile de Paris qui n'est pas commode en Algérie ?

Qu'on est content d'être vieux & de n'avoir plus que quelques années de misères !

Ici les nuits sont très fraîches 4° seulement. il a plu hier, mais peu, aujourd'hui sans pluie ; ce qui n'empêche pas que mes habits d'hiver ne sont pas de trop.

Nous continuons à expédier des marchandises. Lundi nous serons à jour. le train de 10 h n'arrive que vers 1 à 2 h par suite des retards de celui de Paris qui n'arrive généralement que vers midi.

Nous avons la paie aujourd'hui & avons de quoi y satisfaire. Autrement rien de particulier à te signaler. peut-on penser à ces petits riens qui se passent dans la maison lorsqu'on est pourchassé par des craintes & des évènements si cruels.

L'on ne fait que chercher dans les journaux des nouvelles rassurantes que l'on ne trouve pas.

Je ne crois pas que nous soyons envahis ici avant que de graves évènements ne se passent. Préfères-tu venir ici. D'ici nous trouverons toujours moyen de vous conduire en Suisse. Mais une fois ici tu ne voudras plus t'en aller ? Je le crains ; & je serais moins rassuré encore.

Mais je me tais & attends ce que vous aurez décidé dans votre conseil de famille[1], qui peut-être ne sera pas content de mes allures timorées.

Embrasse bien nos chères petites filles[2] je voudrais bien pouvoir le faire moi-même, amitiés pour tous & pour toi ma chérie je suis de cœur

Charles

3 h soir pas encore de courrier de Paris.


Notes

  1. La famille Desnoyers, autour d’Eugénie.
  2. Marie et Emilie Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 27 août 1870 (A). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_27_ao%C3%BBt_1870_(A)&oldid=35544 (accédée le 15 novembre 2024).

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