Samedi 22 et mardi 25 mai 1858

De Une correspondance familiale


Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre)


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Ta lettre m'a fait, je crois, le double du plaisir habituel, ma chère Isabelle, car j'avais eu vraiment un peu peur que tu ne prisses au sérieux, ce qui, je l'espère bien, n'était qu'une plaisanterie quand tu me disais que tu ne m'écrirais plus. Je t'en prie, je t'en prie, ne change rien à tes bonnes habitudes d'autrefois car, vois-tu, moi, je ne change pas ainsi et ceux que j'aimais, je les aime et les aimerai toujours

Mardi matin

Voilà trois jours que j'ai commencé cette causerie, ma petite Isabelle, et je ne sais comment j'ai fait mon compte pour ne pas te l'avoir envoyée plus tôt ; ne me gronde pas, je t'en prie car en tous cas, j'ai bien pensé à toi et parlé de toi souvent. J'ai tant de choses à faire en ce moment, tant de choses à voir et à prévoir que le temps me fait vraiment défaut, je ne sais comment il passe et les journées ne sont pas longues ; quand je pense que je n'ai plus que trois semaines à passer sous le toit paternel[1], je ne puis y croire. Matilde[2] est chargée d'une commission pour toi, de la part de M. Mertzdorff, c'est de te remettre mon portrait qu'il a fait faire et qu'il a eu de lui-même l'idée de t'envoyer. Tu le mettras dans ta chambre, ce portrait, n'est-ce pas, ma vieille, et souvent tu regarderas ta Crol dont tu gardes toute l'affection, je te le répète, et je te supplie d'en être persuadée.

J'ai déjà reçu plusieurs cadeaux dont Matilde te parlera car je les lui ai montrés en grande partie dans cette intention ; je n'ai pas encore ma corbeille, mais je me doute un peu de ce qu'elle contiendra ; M. Mertzdorff est si bon et si généreux que j'ai grand peine à le retenir. Nous ne savons encore au juste ce que nous ferons le grand jour, mais je pense bien que nous partirons le soir-même et ferons quelques stations à Meaux, Strasbourg, Baden-Baden avant d'arriver à Wildbad où nous resterons environ 3 semaines ; de là nous irons au vieux-Thann où la présence de M. M. sera bien nécessaire ; puis il y aura une fête à organiser pour les ouvriers qui sont dans la joie à l'idée que le seigneur et maître se marie ; ensuite l'inventaire ; enfin nous ne serons que vers le 15 Août à Paris où nous reviendrons peut-être par Magdebourg, Hambourg et les bords du Rhin mais tout cela n'est que projet !

Cette pauvre Eugénie[3] est souffrante et au lit depuis quelques jours ; c'est un vrai chagrin pour moi de la penser malade pendant que je suis si heureuse, mais j'espère bien que cette indisposition n'aura pas de suites et que je pourrai bien jouir d'elle dans ces derniers jours qui me restent avant mon mariage

Voilà une vraie lettre d'égoïste où je ne te parle que de moi mais j'ai la faiblesse de compter assez sur ton amitié pour croire que cela t'intéresse, n'est-ce pas que je n'ai pas tort ? Dis-moi donc si tu as assisté au mariage de M. Bellot, comment cela s'est passé, comment était la mariée etc. Moi, j'aurai une robe de soie blanche recouverte par une robe de tarlatane[4] à volants et le voile également en tarlatane ; je crois que ce sera joli pour l'été ; pourvu que je n'aie pas le temps d'aujourd'hui ; Matilde est favorisée pour voir Rouen et ce malheureux M. Kestner !

Ma belle-mère et ma belle-sœur[5] (futures) arriveront une dizaine de jours avant la cérémonie, nous sortirons beaucoup avec elles, je pense, pendant ce temps. J'ai bien des excuses à te faire pour la petite branche[6] que tu as cru égarée, mais il n'y avait pas de ma faute ; j'avais écrit le matin plusieurs lettres que maman a envoyées à la poste pendant que j'étais sortie, ainsi tu vois que je n'étais pas tout à fait coupable.

Au revoir, ma chère petite Isabelle ; charge-toi de mes souvenirs les plus affectueux pour ton entourage et crois-moi toujours la même Crol qui t'aime beaucoup ! beaucoup !

X O

Je te prie d'annoncer officiellement mon mariage, de ma part, à Mlle Anthoine et présente-lui, en même temps, mes bonnes amitiés.

Dis aussi mille choses de ma part à Amélie R.[7] je compte qu'elle aussi voudra bien penser à moi le 15 Juin.


Notes

  1. Caroline est la fille de Louis Daniel Constant et Félicité Duméril.
  2. Louise Matilde Pochet, cousine de Caroline Duméril et d’Isabelle Latham.
  3. Eugénie Desnoyers.
  4. La tarlatane est un tissu importé des Indes. Sa fabrication française s'établit à Tarare au milieu du XIXe siècle. C'est une étoffe de coton à tissage très lâche et très apprêté. Moins chère et plus solide que le tulle, elle est employée pour la confection de robes de soirée, de coiffes et accessoires de lingerie.
  5. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Merztdorff ; Emilie Mertzdorff, veuve de Prosper Leclerc.
  6. Une branche du bouquet de fiançailles annoncée dans la lettre du 8 mai.
  7. Amélie Rigot.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Samedi 22 et mardi 25 mai 1858. Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_22_et_mardi_25_mai_1858&oldid=60908 (accédée le 3 décembre 2024).

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