Samedi 22 et dimanche 23 juillet 1871

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1871-07-22 pages 1-4.jpg original de la lettre 1871-07-22 pages 2-3.jpg


Montmorency[1]

Samedi soir

Mon cher Charles

J'ai été bien heureuse en rentrant de Paris de trouver ta bonne lettre écrite Jeudi et déjà en réponse à celle que je t'avais écrite Mardi. Ce n'est plus si long. Que de choses tu trouves moyen de faire et dont tu t'occupes tout en dirigeant ton affaire. J'admire, et suis honteuse d'avoir si peu à te dire sur l'emploi de mon temps. Hier pour la fin de notre journée rien de remarquable, travail paisible. Ce matin à 7h ½ nous descendions gaiement toutes 3[2] au chemin de fer, il faisait très bon ; à 9h nous étions au boulevard des Italiens où nous nous sommes transportées en omnibus. Nous y avons fait une longue séance qui était utile. J'ai été très contente de mes petites filles et de M. Pillette[3], les premières ont été remarquablement sages, et le second a mis beaucoup de soin dans ce qu'il avait à faire. Aussi à 11h moins ¼ j'ai trouvé qu'il y en avait assez pour tout le monde, tu le comprends, même pour moi, ce sont de pénibles corvées, et je les ai emmenées déjeuner rue de Rome chez Mme Lafisse[4], ce qui les amusait beaucoup, où nous avons été très bien reçues ; à 1h ½ nous montions rue de Parme où nous avons trouvé la tante Mertzdorff[5] bien. Son mari a la goutte dans un doigt de la main, je ne l'ai pas vu ; sa femme m'a dit qu'il avait le bras en écharpe et mangeait trop. La tante n'a pas revu Edgar[6], mais elle craint, ainsi que Mme Bonnard[7] qu'elle il parte plutôt avec de l'eau bénite de cours qu'avec des promesses réelles pour Paris. Je ne comprends pas leur aversion pour Versailles car Paris n'offrira pas longtemps grand charme à Émilie[8]. Pour le moment on ne voit que des étrangers. Demain ont lieux les élections municipales, Alphonse[9] et Alfred[10] sont restés pour voter et viendront ensuite.

En sortant de chez la tante, nous sommes remontées à Batignolles prendre l'omnibus du Jardin des Plantes, c'était la combinaison des fillettes pour aller surprendre Aglaé[11], ce qui est arrivé.

Nous nous en allions à 4h toutes 4 avec petit Jean[12] prendre l'omnibus du collège de France et après un très bon voyage, nous étions à 6h au cottage. Papa[13] était arrivé 1h avant nous. Nous avons trouvé notre pauvre mère[14] bien triste ; sa journée seule lui avait permis de se livrer à ses douloureuses pensées. C'est si naturel, elles ne la quittent pas, mais lorsqu'elle est entourée elle ce n'est plus la même chose. Après le dîner on a soigné la basse-cour, cherché de l'herbe qu'on a rapportée, comme les alsaciennes, sur la tête et maintenant je dois être la seule éveillée de la maison.

Je crains, comme toi, que tu aies de la peine à te débarrasser de ta mairie, mais, il le faut tu as trop de choses sur les bras, tu les prends à cœur et ça devient par trop fatiguant.

Je serai bien contente de te revoir, et tes fillettes aussi, nous avons le temps long après toi, cela ne t'étonnera pas.

Marie est bien contente que tu veuilles faire arranger la maisonnette de bain. Et moi j'aimerais bien que le fourneau soit arrangé, car c'est préoccupant lorsqu'il a continuellement du feu.

Mardi matin je retournerai chez le dentiste, ce sera notre dernière séance, puis je pense aller au Jardin pour mettre en caisse les livres que j'ai pris à la maison afin de n'avoir pas à m'occuper de cela avec toi. D’ici là je pense recevoir une lettre de toi me disant quels sont tes projets définitifs pour venir.

Bonsoir, Ami chéri, je t'embrasse du fond du cœur.

Ta Nie

Dimanche

2h ½  C'est lorsqu'on se trouve tous réunis que les absents manquent encore plus, et que ma pensée te cherche encore plus.

Et tout à l'heure j'entendais mon pauvre père pleurer ; que c'est triste de voir la douleur sur ce cher visage entouré de cheveux blancs[15]. Il vient d'écrire un mot à un intendant militaire de sa connaissance pour tâcher d'obtenir le moyen d'avoir un congé pour le fils Offroy qui est en Afrique et qui vient d'écrire à ses parents qu'il a été atteint à l’œil par une branche de figuier en traversant un taillis, on craint qu'il n'ait l’œil crevé ! Pauvres gens, je vais porter moi-même la lettre de papa à nos amis communs les Delacre qui nous en avaient parlé ce matin au sortir de la messe.

D'après la lettre que je recevrai de toi demain je te récrirai oui ou non

à bientôt mon bon Ami, tes petites filles vont bien et t'embrassent comme moi.

Ta Nie

Mille choses autour de toi.


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Eugénie et les petites Marie et Émilie Mertzdorff (« les fillettes »).
  3. Ernest Pillette, dentiste.
  4. Constance Prévost, épouse de Claude Louis Lafisse.
  5. Caroline Gasser, épouse de Frédéric Mertzdorff.
  6. Edgar Zaepffel.
  7. Élisabeth Mertzdorff, épouse d’Eugène Bonnard.
  8. Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  9. Alphonse Milne-Edwards.
  10. Alfred Desnoyers.
  11. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  12. Jean Dumas.
  13. Jules Desnoyers.
  14. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  15. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target pleurent leur fils Julien.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 22 et dimanche 23 juillet 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_22_et_dimanche_23_juillet_1871&oldid=61669 (accédée le 22 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.