Samedi 21 février 1795 (A), 3 ventôse an III
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son frère Désarbret (Amiens)
n°84
Paris trois ventôse an troisième
Mon bon ami,
Tu m'as écrit d'une manière si obligeante, tu m'as fait un présent si galant, que je m'en veux ou plutôt aux circonstances qui m'ont empêché de te répondre plus tôt. Te parler de moi c'est t'intéresser, ainsi vais-je faire, uses-en de même lorsque tu m'écriras.
Je ne sais si je t'ai mandé que je rédige un journal des leçons qui nous sont données[1], cela me mange un temps énorme. Pour le moment, nous n'avons que deux cours démonstratifs je viens d'en faire les 10< > numéros. J'ai employé déjà quatre-vingt feuillets d'écriture d'un papier < > quatre écrit fin. Juge si j'ai besoin de mémoire ! J'avais déjà subi un concours pour la place de Prévôt d'anatomie ou de prosecteur, nous avions été nommés à trois, on a désiré y mettre une plus grande publicité, on l'a fait annoncer, publier, afficher pour décadi dernier. Je m'y suis rendu d'après une lettre d'invitation. J'ai été interrogé le 8e et dernier, Auguste[2] y était, voici mes questions : mes interrogateurs étaient six, j'ai été le seul questionné par cinq.
Professeur de clinique interne[3] : Décrivez-moi l'oreille ?
Adjoint de la médecine opératoire[4] : D'où viennent, où vont et comment se nomment les nerfs de l'extrémité supérieure ? Quelle est la distribution du médium pour les doigts ?
Professeur de médecine légale[5] : Quelle est la division du muscle grêle antérieur ?
De pathologie externe[6] : Décrivez-moi l'opération et le pansement de l'amputation de la cuisse.
Professeur de médecine opératoire[7] : Quelles sont les usages des obliques, des yeux, comment se comporte l’œil à l'égard de l'orbite.
J'ai peut-être eu l'avantage de me déconcerter le moins. Toujours est-il qu'on m'a appris, aujourd'hui, que j'étais le 1er nommé. J'étais sans contredit le plus jeune en étude. Car bien calculé, je n'ai de chirurgie que 27 mois ; et je concourai avec des chirurgiens de cinq et 6 ans. Tout amour-propre à part, mon bon ami, j'ai senti combien il est avantageux de savoir au moins se tirer d'affaire dans une circonstance aussi honorable. j'ai joui de cette satisfaction intérieure que l'on ne donne point, et que l'on achèterait bien cher. Le même jour j'ai été à la convention, lire pour un camarade l'ordre qu'il présentait à la convention. Le soir j'ai dormi de bon cœur, depuis trois ou quatre jours mon sommeil était laborieux. Je ne rêvais que muscles, nerfs et vaisseaux. Oh cette nuit-là je me suis enseveli bien paisiblement et, dans l'oubli général de toute une connaissance anatomique !
Demain (c'est qu'il faut te dire que je suis pressé, je t'écris la nuit et je suis encore le 2) aujourd'hui donc je dois recevoir une lettre, qui m'invitera à me rendre le cinq à l'assemblée générale des professeurs, on m'instruira ainsi que un camarade de leur nomination. Notre place vaudra, dit-on, 2 000ll et le logement. Je suis sorti de la classe des élèves, je me retirais ainsi dans l'amphithéâtre, et jusqu'ici c'est moi qui ai préparé la leçon du professeur Chaussier (Anatomie Physiologie). Tu vois avec quelle précipitation je t'écris, j'oublierai la moitié de tout ce que j'ai à te mander. J'ai écrit au Citoyen d'Eu[8] à Boulogne, il m'a même répondu, et m'a même envoyé une lettre de recommandation pour un très grand naturaliste que tu ne connais pas, je tais son nom, et je ne peux m'occuper de la note du citoyen Lendormy[9], je n'en ai pas le temps, s'il t'en parlait, excuse-moi auprès de lui.
Je vais demander encore de l'argent, c'est m'y prendre de bonne heure, mais mon voyage, mes transports, ma vie ici ont débarrassé ma bourse de la belle manière. C'est moi et vous, Auguste qui me nourrit. Aime-moi toujours, quant à toi je ferai à ton égard ce que tu mérites, adieu.
Constant
Notes
- ↑ Cours donnés à l’École de santé de Paris.
- ↑ Auguste Duméril (l’aîné), leur frère.
- ↑ Jean Nicolas Corvisart.
- ↑ Alexis Boyer.
- ↑ Pierre Lassus.
- ↑ François Doublet.
- ↑ Raphaël Bienvenu Sabatier.
- ↑ Louis Joseph Deu de Perthes.
- ↑ Lendormy et Sivelle, officiers de santé, signent le procès-verbal du 23 nivôse an III (12 janvier 1795) qui désigne l’élève du district d’Amiens qui doit se rendre à l’École de santé de Paris. C’est André Marie Constant Duméril qui est choisi.
Notice bibliographique
D’après le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 1er volume, p. 177-179. Cette lettre est jointe au document 1795-06.
Pour citer cette page
« Samedi 21 février 1795 (A), 3 ventôse an III. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à son frère Désarbret (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_21_f%C3%A9vrier_1795_(A),_3_vent%C3%B4se_an_III&oldid=35465 (accédée le 11 octobre 2024).
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