Mercredi et jeudi, été 1865

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

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Mercredi

3 h

Ma bonne petite Gla,

J’ai reçu ce matin ta bonne lettre. Voilà ce qui fait plaisir. Deux mots de causerie en attendant que ces dames[1] descendent. Je suis au billard avec mes fillettes[2], nous avons dîné chez bonne-Maman en l’honneur de l’arrivée de tante Zaepffel, …. Founi est tombée, il a fallu la consoler, les voilà parties avec Cécile[3] donner à manger aux carpes.

J’aimerais bien pouvoir me joindre à vos < > du Dimanche. Comme je serais contente de me trouver chez maman[4] avec toute ma petite bande. Mais il n’est pas encore à penser à cela pour cette année ; Charles[5] est toujours très occupé et ne laisserait la besogne que pour aller respirer un air extraordinaire et encore si c’est utile pour les enfants.

Tu me demandes quel effet me font les bains[6] ? Les premiers m’ont fatiguée ; les autres me paraissent très bons et je ne sais si c’est à eux que je dois mon grand appétit, enfin ça va très bien. Tu me parais bien mieux toi, ma petite Dame, tu mènes une vie des plus fatigantes et tu ne te plains pas ; c’est bon signe et je m’en réjouis.

Maintenant parlons un peu coquetterie, devenons femmes à la mode. Quant à toi c’est déjà fait à ce que je vois, des corsages blancs, des <sorties> en barège[7], des caracos[8] !… qu’est-ce que tout cela ? chapeau forme empire[9] ?… Je suis loin de ces beautés, Emilie[10] m’a déjà dit qu’on ne faisait plus de postillon[11] comme le mien, j’étrenne aujourd’hui ma robe de piqué[12] jaune que tu m’as envoyée et je me croyais très belle ! A propos Dis à Mme Bourrelier que les 2 premières robes allaient bien ; mais que celle-ci n’allait pas si bien ; Cécile a dû me la <rétrécir> sous les bras, du bas de la taille en laissant l’ampleur à la poitrine, et puis j’ai trouvé la taille un peu longue. Mme Bourrelier sait que pour les dos il faut toujours me les remonter un peu. Les manches étaient trop longues environ 3 cm. Mais il vaut mieux ce défaut que <le contraire> parce que si ça rapetisse au lavage nous pourront ressortir[13], ou si je continue à engraisser.

Pour ma robe grise fais-la moi faire à la mode comme tu voudras, je la trouverai bien, comme tu ferais pour toi, on est content de me voir un peu bien tournée et tout en aimant le simple il faut bien faire comme tout le monde. Je suis enchantée de mon châle en cachemire noir, tu ne pouvais rien m’envoyer de mieux, je ne le quitte pas pour les promenades, l’église, &.

Ma petite robe nettoyée et garnie de violet me plaît aussi beaucoup, seulement un peu longue de taille, mais les manches très bien de long ; je crois, je suis sûre, que je préfère ma petite ceinture, c’est une robe que je mets continuellement ; mais comme tu voudras et envoie-la moi par la poste ainsi que 3 paires de gants de suède à 2 boutons n° 7 bonne qualité.

La robe grise, maman pourra me l’apporter ; mais Mme Bourrelier peut toujours la faire, et qu’elle la soigne elle-même. fais-lui bien des compliments de ma part.

Pour Alphonse[14] il n’y a pas de doute il sera nommé à la chaire de l’école de pharmacie ; nous vidons une bouteille de champagne en signe de réjouissance le jour où j’apprends cette bonne nouvelle. Ces dames sont à la serre je vais les retrouver.

Jeudi matin

Mimi ne veut absolument pas que Cécile m’appelle Madame, c’est amusant comme tout de l’entendre, il faut absolument que tout le monde me dise maman à son dire.

Sois tranquille, va, Mimi te fera encore le même accueil, tu n’as qu’à essayer aux vacances, elle me disait encore hier soir combien elle t’aimait.

Cette pauvre Céline[15] je la plains ; elle a la douleur d’avoir perdu sa sœur[16] et puis elle doit avoir bien des pensées qui lui traversent l’esprit et qui doivent la préoccuper n’ayant pas près d’elle quelqu’un à qui elle puisse communiquer ses impressions. Je lui écrirai en lui envoyant nos portraits en attendant, fais-lui mes plus tendres amitiés.

Je suis contente de voir que vous êtes fidèles à Montmorency, j’en suis bien contente pour maman. Nous avons un vent d’est qui brûle tout.

Dimanche nous aurons toute la famille à dîner, j’espère que ma cuisinière s’en tirera bien. Je suis contente d’elle. Cette pauvre Marie est un peu agitée, ça se comprend, je crois que, pour moi, il vaudra mieux qu’elle se décide, parce que si elle le refuse, elle se trouvera malheureuse d’être en service[17].

Tu sais c’est comme cela partout. Mais je suis toujours enchantée de ma bonne Cécile, elle, elle me sera fidèle si sa santé reste bonne.

Adieu, ma Gla Chérie, je t’embrasse bien fort, écris-moi, tes lettres me font tant de plaisir. Cécile de Sacy[18] va vite en famille. As-tu des nouvelles de Niort[19] ?

Encore de bonnes amitiés pour <tous> nôtres de la part de Charles de moi et des filles.


Notes

  1. Ces dames : « bonne-maman », Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff et sa fille Emilie, « tante Zaepffel ».
  2. Marie (Mimi) et Emilie (Founi) Mertzdorff.
  3. Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
  4. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  5. Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie Desnoyers.
  6. La famille Mertzdorff prend les bains à Wattwiller.
  7. Le barège est une étoffe de laine légère.
  8. Le caraco est une blouse boutonnée devant, flottant par-dessus la ceinture de la jupe.
  9. Deviennent à la mode les petits chapeaux en plateau dont les rubans sont noués sous le menton.
  10. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  11. Le postillon est un chapeau haut de forme en feutre de laine d’une dizaine de cm de hauteur.
  12. Le piqué est une étoffe épaisse en coton, ornée de dessins qui imitent les points de coutures unissant deux tissus appliqués l'un sur l'autre.
  13. Ressortir l’étoffe mise en réserve lors de l’ajustage.
  14. Alphonse Milne-Edwards, époux d’Aglaé Desnoyers.
  15. Céline Desmanèches.
  16. Amélie Desmanèches, épouse d’Emile Delapalme, décédée en décembre 1864.
  17. Voir l’allusion aux projets matrimoniaux de cette domestique dans la lettre du 6 juin 1865.
  18. Cécile Audouin, mariée en 1857 à Alfred Silvestre de Sacy, vient d’accoucher de son quatrième enfant.
  19. À Niort habite leur cousine Bathilde Prévost, épouse d’Alphonse Duval.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi et jeudi, été 1865. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_et_jeudi,_%C3%A9t%C3%A9_1865&oldid=35270 (accédée le 25 avril 2024).

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