Mercredi 6 juillet 1859

De Une correspondance familiale

Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Félicité Duméril (Paris)


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Vieux-Thann

6 juillet 1859

Ma chère Maman

Je sais bien que je mérite le reproche que papa[1] m'a fait sur la rareté de mes lettres et je vous en demande bien pardon ; je ne sais comment avec la meilleure volonté de vous écrire souvent je suis toujours aussi en retard. Heureusement que vous ne me punissez pas par la loi du talion car je suis si contente quand je vois arriver vos lettres et tous les détails intéressants qu'elles contiennent ; je suis bien heureuse de voir que l'état de M. Fröhlich[2] est aussi satisfaisant que possible ; dites-leur bien je vous prie toute la part que nous prenons à ce qui leur arrive et combien nous parlons souvent d'eux tous. C'est lorsque je vous aurai ici que nous aurons à causer de mille et mille choses, je me réjouis tant de voir ce que papa et Léon[3] pensent de notre maison, de notre jardin et surtout de notre fillette[4] qui vient comme un chou ; ma tante[5] qui ne l'avait pas vue depuis quelque temps en a été enchantée hier, surtout de la rondeur et de la fermeté de ses chairs ; son intelligence se développe aussi ; elle nous reconnaît très bien son père[6] et moi et a presque toujours un sourire prêt pour nous recevoir. Dimanche je suis allée avec elle chez les Kestner et chez les André, ce pauvre M. Kestner[7] est bien souffrant à Vichy, mais je n'ai pas de ses nouvelles depuis 2 jours. Dimanche Lundi jour de la fête nous avons été bien émotionnés par un triste accident ; un M. Brylinski[8] de Cernay traversait Vieux-Thann avec un cheval vicieux qui en passant près de la salle de danse s'est effrayé, le domestique a aussitôt sauté à terre et aidé par tous ces gens qui se trouvaient là il aurait eu bien vite arrêté la voiture mais le M. a perdu la tête a voulu sauter et est tombé sous le cheval qui l'a foulé aux pieds, on l'a ramassé le croyant mort à ce que l'on est venu nous dire. Charles y a couru de suite, on l'avait mis chez M. le Maire[9] où il a été quelque temps sans connaissance ; Tom[10] est immédiatement parti avec notre voiture et a ramené M. Conraux en moins d'un quart d'heure, celui-ci a reconnu que le malheureux blessé avait la mâchoire brisée en trois endroits et de plus la joue fendue du haut en bas ; heureusement et comme par miracle Charles s'est trouvé avoir du fil de platine nécessaire pour opérer le rapprochement des os ; il aurait fallu sans cela employer un fil de cuivre ce qui eut été bien fâcheux. L'opération terminée le difficile était de savoir si le patient pouvait être reporté à Cernay sinon nous nous trouvions obligés de le prendre chez nous et tu conçois quelle chose horrible que d'avoir un homme dans un semblable état, pourtant nous l'aurions fait de grand cœur car il est de ces services que l'on doit savoir rendre. Nous avons organisé une litière avec mon petit lit de fer sous lequel on a passé quatre pieux bien solidement fixés ; puis avec des cerceaux d'osier recouverts d'un large calicot pour préserver la tête, un matelas, 3 oreillers et des couvertures on a cherché à installer le mieux possible le pauvre blessé dont les souffrances étaient atroces ; son fils et sa belle-sœur[11] étaient arrivés en toute hâte et à 10 h 1/2 le triste cortège s'est mis en route composé de 8 hommes pour porter le brancard et éclairer avec des lanternes ; du fils et du médecin de Cernay. On n'est arrivé qu'à minuit 1/2. Le mouvement de la marche quelque doux qu'on cherchât à le rendre était tellement douloureux pour le patient qu'il a fallu s'arrêter 40 fois.

Ce qui rendait la chose encore plus terrible c'est que la femme de ce M.[12] est d'une santé déplorable, toujours malade et dans des attaques de nerfs presque continuelles, je ne sais comment elle aura supporté un choc aussi terrible ; ce matin nous avons envoyé chercher des nouvelles, elles n'étaient pas trop mauvaises et le malade était un peu plus calme et avait dormi un peu cette nuit. Tu comprends combien nous avons eu d'émotions mais Charles était heureux d'avoir pu être utile en quelque chose. Le même soir, un garçon, fils d'un de nos ouvriers, et sujet à des hémorragies très violentes est tombé mort sur la place de danse ; notre pauvre < > est malheureux.

Mon oncle[13] s'est enfin décidé à aller faire une saison à Wattwiller ; ses rhumatismes devenaient insupportables ; Mme Henriet[14] ne partira que Samedi prochain.

Dimanche nous aurons probablement les dames Mertzdorff[15] qui sont à St Amarin depuis quelques jours.

Ici la chaleur est devenue accablante, nous en souffrons tous, à cela se joint pour moi le tourment des puces, j'en ai tué jusqu'à dix dans une journée, ce sont je pense les ouvriers qui nous gratifient de ces aimables insectes.

Je te dirai qu'on commence l'éducation de ta petite-fille elle commence à savoir ce que c'est que de faire pipi sur un pot, c'est gentil n'est-ce pas ?

Adieu mes chers parents soyez notre interprète auprès de bon-papa[16] et de bonne-maman[17] et de mon oncle[18] s'il est encore à Paris et recevez l'assurance de la tendre affection de vos enfants.

Crol

Nous comptons tout à fait, bien entendu sur une bonne visite de bon-papa comme il l'a promis ; qu'il choisisse son moment tout à fait comme il lui plaira, il sait bien le bonheur que nous éprouverons à le voir arriver et à le recevoir cette fois chez nous.

Répondez-nous quelque chose à ce sujet je vous prie.

Nous pensons bien à Léon.


Notes

  1. Louis Daniel Constant Duméril.
  2. André Fröhlich séjourne à Paris avant d’être opéré de la lithotritie par Pierre Salomon Ségalas.
  3. Léon Duméril, frère de Caroline.
  4. Marie Mertzdorff est née le 15 avril 1859.
  5. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  6. Charles Mertzdorff, époux de Caroline.
  7. Charles Kestner.
  8. Théodore Brylinski, gendre de Mathieu Risler, maire de Cernay.
  9. Augustin Coullerez, maire de Vieux-Thann de 1848 à 1865.
  10. Tom, domestique chez les Mertzdorff.
  11. Possiblement Louise Joséphine Schmerber, épouse de Georges Alphonse Risler, manufacturier à Cernay comme son père Mathieu Risler.
  12. Sophie Risler.
  13. Georges Heuchel.
  14. Célestine Billig, épouse de Louis Alexandre Henriet.
  15. Caroline Gasser, originaire de Saint-Amarin, épouse de Jean Frédéric Mertzdorff, et sa fille, Elisabeth.
  16. André Marie Constant Duméril.
  17. Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné.
  18. Auguste Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 6 juillet 1859. Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Félicité Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_6_juillet_1859&oldid=52173 (accédée le 14 novembre 2024).

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