Mercredi 31 janvier 1810

De Une correspondance familiale

Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à sa belle-mère Rosalie Duval (Amiens)

Original de la lettre 1810-01-31-page1.jpg Original de la lettre 1810-01-31-page2.jpg Original de la lettre 1810-01-31-page3.jpg Original de la lettre 1810-01-31-page4.jpg


N°200

Paris 31 Janvier 1810

Ma très chère Maman,

M. Leleu part enfin, et je ne veux pas que ce soit sans emporter une lettre de notre part pour vous. Je dis, enfin, parce que depuis longtemps il est question de son départ ; que j’ai toujours compté lui remettre une lettre pour vous, et que d’un moment à l’autre je reculais d’écrire, parce que son retour à Amiens est toujours renvoyé. Je vois bien que j’ai tort de ne pas profiter tout bonnement L’occasion de la poste, car c’est me rendre bien coupable que de laisser passer tant de temps, sans écrire un seul mot à nos chers Parents d’Amiens. Nous avons eu un grand plaisir à voir paraître mon beau-frère Auguste[1] ainsi que sa bonne et aimable compagne, et à avoir cette occasion de faire un peu plus ample connaissance avec notre jeune sœur, dont le caractère déjà mûr et en même temps ingénu, nous paraît très agréable et bien fait pour se faire aimer. Nous avons été bien contents de pouvoir les loger, mais il a fallu pour cela qu’ils se contentassent d’un local terriblement étroit, et où ils sont bien gênés, mais il est bien plus agréable pour ma belle-sœur de se trouver posée ainsi que si elle était dans un hôtel garni, où elle serait obligée de rester bien souvent seule pendant que son mari serait à ses affaires ; malgré la bonne envie que j’aurais d’aller la voir, je n’en aurais pas la possibilité, autant que je le voudrais, tandis que comme cela il y a une foule de moments que nous pouvons passer ensemble. Elle a beaucoup de bonté pour nos enfants[2], et supporte souvent leur bruit auprès d’elle, ils paraissent avoir bien gagné son cœur. Caroline devient bien plus raisonnable depuis quelque temps, et quoiqu’elle ait encore bien des petits moments où elle n’aime pas à obéir ; nous en sommes beaucoup plus contents que nous ne l’étions à Amiens ; elle est rarement contrariante avec son frère, qu’elle aime beaucoup. Dans les premiers jours de gelée, elle a fait avec son Papa[3] et moi à pied la course de chez nous chez mes Parents[4], et sans en être trop fatiguée. Maintenant elle connaît toutes ses lettres, ainsi vous voyez ma chère Maman que c’est une personne qui saura bientôt lire. Son Petit frère toujours bon et toujours plus caressant, grandit tout en restant toujours comme une boule, il a maintenant douze dents, et les met heureusement sans souffrir. Il a un talent rare pour s’amuser seul et sans bruit, mais sans bruit aussi, il s’entend fort bien à casser ses joujoux et ceux de sa sœur, aussi il se passe bien peu de jours que son Papa ne soit obligé de faire usage de la colle forte pour réparer ses hauts faits. Sur la parole il n’a fait aucun progrès, car il ne sait dire que Papa, et Maman qu’il met à toutes sauces ; il sait très bien se faire entendre par signes - Ce temps froid nous gêne beaucoup pour aller chez mes Parents, car la prudence nous empêche de faire sortir le cheval et nous sommes obligés d’aller à pieds ou en fiacre, et lorsque nous prenons cette première manière cela nous force à laisser nos enfants, ce qui me contrarie toujours beaucoup. J’essayerai peut-être encore de faire faire la course à pied à Caroline. Dans ce moment nous avons beaucoup de souci. Ma Tante[5], sœur de maman, et qui demeure avec elle, est fort malade d’une fluxion de poitrine, à laquelle on a appliqué d’une manière très prompte les secours employés dans cette maladie-là, tels que saignées et vésicatoire, hier il y avait du mieux, mais nous ne sommes pas encore tout à fait rassurés. Cet événement cause beaucoup de tourment et de fatigue à Maman et cela me donne un grand regret de n’être pas à portée de la soulager dans les soins qu’elle donne à ma Tante.

J’espère ma chère Maman que ce temps glacial n’aura pas renouvelé les douleurs violentes que vous avez éprouvées au commencement de ce mois, mais qui heureusement n’avaient pas duré. Nous avions appris avec bien du chagrin par votre dernière lettre que vous aviez été aussi souffrante, De laquelle (lettre) ainsi que de la précédente je m’aperçois que je ne vous ai point fait mes remerciements ; mais vous pouvez bien vous douter du plaisir que nous éprouvons et de notre reconnaissance lorsque nous recevons de votre écriture. Nous espérons que tout le monde dans la famille se porte bien ; et nous pensons que notre sœur Reine[6] est encore à Corbie, où nous avons appris par mon frère auguste, qu’elle est allée pour la noce de l’aimable Mlle Bailleul[7]. Je lui dois depuis longtemps une lettre, je la prie de me pardonner ma lenteur à lui répondre et de n’en croire pas moins à mon attachement de sœur. Nous vous prions très chère Maman de penser souvent à nous, et nous vous envoyons ainsi qu’a notre cher Papa[8], l’expression de notre tendre et respectueux attachement.

Nous vous prions de nous rappeler au souvenir de toute la famille Duval et particulièrement à celui de notre Oncle[9], que nous voudrions bien savoir peu souffrant. Nous envoyons mille amitiés à notre frère Désarbret[10] et nous embrassons Montfleury[11] sur les deux joues à sa manière.


Notes

  1. Auguste (l’aîné), frère d’André Marie Constant Duméril, a épousé en 1809 Alexandrine Cumont.
  2. Caroline (l’aînée) née en mars 1807, et Louis Daniel Constant Duméril, né en juin 1808.
  3. André Marie Constant Duméril.
  4. Daniel Delaroche et Marie Castanet ; ils habitent rue Favart et les Duméril rue de l’Estrapade, soit à 5 km environ.
  5. Élisabeth Castanet.
  6. Reine Duméril, sœur d’André Marie Constant.
  7. Élisabeth Bailleul vient d'épouser Pierre Antoine Anschaire Baillet.
  8. François Jean Charles Duméril.
  9. Jean Baptiste Duval, oncle d’AMC Duméril.
  10. Joseph Marie Fidèle dit Désarbret, frère d’AMCDuméril.
  11. Florimond dit Montfleury (le jeune), neveu d’AMC Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 3ème volume, p.53-57)

Pour citer cette page

« Mercredi 31 janvier 1810. Lettre d’Alphonsine Delaroche (Paris) à sa belle-mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_31_janvier_1810&oldid=61158 (accédée le 14 octobre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.