Mercredi 2 juin 1869

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Nogent-le-Rotrou-Launay) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


Mercredi 6 h soir

Décidément, mon cher Charles, je puis me comparer à la folle de la romance : j'attends toujours mon bien-aimé, et mon bien-aimé de revient pas, et qui plus est il n'est plus question dans ses lettres de retour. Que vas-tu penser de nous quand je t'avouerai que Mimi[1] et moi nous avons guetté la route après l'arrivée du train de 10 h, croyant toujours que tu allais venir nous surprendre ? C'est cependant la vraie vérité, tu vois que j'ai encore des illusions, et comme tu ne parlais plus de voyage dans tes 2 dernières lettres, nous en avions conclu que c'était une nouvelle manière de vouloir nous faire plaisir en nous arrivant au moment où nous ne nous y attendions plus.

Cécile[2] est encore descendue à Nogent pour me chercher ta lettre, elle y met beaucoup de complaisance, elle sait combien je désire avoir de tes nouvelles.

Encore aujourd'hui un temps magnifique, Launay est délicieux, nous l'admirons beaucoup, et chacun va le quitter avec regrets, mais moi je n'en jouis plus, parce que c'est toi que je voudrais voir ici te reposer, te promener et jouir de cette belle campagne, tandis que je te sais dans la poussière, les ouvriers, occupé de toute façon et sans nous, ce qui fait que personne ne s'amuse, de nous deux.

Pauvre Oncle Georges[3] je suis doublement triste de le savoir malade, et n'allant pas mieux en ce moment. Mais ce n'est que son indisposition habituelle ? Il n'y a rien d'inquiétant ?

Alphonse[4] nous reste jusqu'à demain soir. Je ne crois pas que nous soyons prêts à partir Vendredi et nous ne rentrerons que Samedi à Paris.

Victorine Target[5] qui avait écrit pour demander à venir passer cette fin de semaine à Launay, ne viendra pas je pense, car ma réponse n'était pas très engageante lui disant que nous partions Vendredi à moins que tu n'arrives & et ne nous souciant pas, au fond, de te donner ainsi qu'à Alphonse l'ennui de sa présence.

Notre Alsace ne doit pas être bien notée en haut lieu[6] et on comprend que M. le Préfet[7] craigne. D'après ce que tu me dis les travaux de la maison vont marcher si on laisse les peintres[8] un peu de suite.

Petit Jean[9] va bien, son indisposition n'a rien donné de grave. Nos fillettes[10] continuent à bien aller, à bien jouer dans le sable, à ne rien faire du tout et à beaucoup rire, mais comme leur maman, elles trouvent bien ennuyeux que le cher papa ne soit pas revenu à Launay. Une autre fois quand nous le tiendrons, nous ne le laisserons plus partir. Pour les Ménager c'est une affaire tout à fait convenue, mais le bail ne sera pas signé[11]. J'ai envoyé les papiers au notaire en lui demandant de nous en préparer un que j'emporterai pour que tu le voies et nous le lui renverrons pour qu'il le passe avec les fermiers. Adieu, mon chéri que j'aime, je t'embrasse de tout cœur, nos choux en font autant car les 3 ont le temps long après toi

ta Nie

Il me semble que toujours mes lettres ne te trouveront plus à la maison ; mais maintenant je ne veux plus rien me figurer. Amitiés de tous pour toi.


Notes

  1. Mimi, Marie Mertzdorff.
  2. Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
  3. Georges Heuchel.
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Victorine Duvergier de Hauranne, épouse de Paul Louis Target.
  6. Voir les résultats des élections législatives.
  7. Hippolyte Ponsard, préfet du Haut-Rhin.
  8. Les peintres de l’entreprise Bulffer.
  9. Jean Dumas.
  10. Marie et Emilie Mertzdorff.
  11. Michel Victor Ménager doit prendre la ferme de Launay.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 2 juin 1869. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Nogent-le-Rotrou-Launay) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_2_juin_1869&oldid=35014 (accédée le 3 décembre 2024).

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