Mercredi 2 juillet 1879
Lettre d’Henriette Baudrillart (Bellevue) à son amie Marie Mertzdorff (Vieux-Thann)
Ma bonne Marie,
Qu’est-ce que vous devenez Mesdemoiselles[3] les silencieuses ? On ne vous voit plus, on ne voit plus votre Tante[4], et sauf un petit mot de Paulette[5] sur votre compte on n’entend plus parler de vous. Heureusement je sais connais assez par avance votre situation présente pour pouvoir me figurer à peu près ce qu’est votre vie de tous les jours et je ne doute pas qu’elle ne soit très remplie.
Et pour ma part j’ai depuis cinq ou six jours sur mon bureau une enveloppe préparée à ton adresse ma chère Marie, signe précurseur de la lettre que j’ai l’intention de t’écrire et Marthe[6] en est très scandalisée…
J’ai été du reste assez occupée moi-même depuis que nous nous sommes quittées. Tu sais ou tu ne sais pas que papa et maman[7] sont partis et même sur le point de revenir. Alfred[8] a été avec eux papa pendant une vingtaine de jours, il a vu les Monts d’Auvergne et les villes de la ligne de Bordeaux. Mère les a rejoints à Bordeaux et a été avec eux à Arcachon, puis à Tarbes, Lourdes et aux Pyrénées. Mon frère est revenu fort content de son voyage, mais n’y ayant pas tout à fait laissé ses maux de tête dont il a encore souffert depuis sa rentrée à l’école. Papa et Maman reviennent Vendredi. Nous allons être toute une colonie de [ ] la famille. Bonne-Maman[9] a loué une maison où elle va demeurer avec Tante Céline[10] qui est venue de temps en temps jusqu’ici et arrive définitivement Vendredi. Mlle Augusta[11] est déjà avec ma grand-mère depuis une ou deux semaines. [ ] lorsque Maman était à la maison. Naturellement nous lui tenons compagnie le plus possible elle aime à m’avoir près d’elle [ ] à la sentir seule tout près de moi pendant que [ ] mes livres. Maintenant elle est plus occupée par sa maison [ ] reste pas très longtemps. Je vais toujours deux ou trois fois par semaine à Paris. Mon cours ne finit qu’aux grandes vacances : c’est la semaine dernière qu’a eu lieu la distribution des médailles aux élèves qui ont [passé] leurs examens. Cette cérémonie a consisté en un solennel interrogatoire des élèves reçues et de quelques autres sur des questions [ ] à l’avance. J’ai été interrogée sur la littérature. Il y avait 3 questions : l’une sur le caractère d’Andromaque [dans] les auteurs anciens et modernes, l’autre sur Esther et Athalie[12], la 3e sur l’Hôtel de Rambouillet, question qui ne me plaisait pas beaucoup et sur laquelle je suis tombée. Je l’ai sue assez pour n’avoir pas l’air intimidée et j’ai parlé ensuite de la Vie d’Agricola de Tacite que je connais bien après deux ans d’étude. Tu comprends qu’il n’y a pas moyen de ne pas savoir ce qu’on nous dit d’étudier trois semaines d’avance, et tout le monde répondait bien (excepté peut-être en religion où c’était un peu faible) mais c’est très imposant. Paulette est venue et a répondu en physique et nous étions bien contentes de cette occasion de nous retrouver. Pauvre Paulette, elle me défend de la plaindre, mais elle a une bien longue épreuve, et on s’aperçoit davantage de son immobilité forcée quand on ne peut pas se transporter auprès d’elle. Elle a bien joui de ses petites nièces[13]. J’aurais voulu aller la voir avant leur départ. Peut-être le ferai-je Vendredi ou Samedi : cela dépendra du retour de Maman.
Notre séance de Vendredi s’est très bien passée, sauf ces nombreux ordres et conseil qu’a proposé la sœur des demoiselles Vaugeois[14] ; puis on nous a parlé d’une certaine visite dont le patronage de Mlle Viollet doit et se charger l’année prochaine [ ] les associées réunies [ ] à une très bonne [vendeuse] Il s’agira de fournir la boutique et d’y aller quelques heures pendant deux jours (pas toutes bien entendu). Nous sommes donc invitées à fabriquer des objets agréables et utiles qui seront tout profit pour l’œuvre. On votera ceci le mois prochain [y] serez-vous ?
Je ne me rappelle pas très bien le petit sermon de Mlle Viollet. Il était sur la Justice à l’égard de ses inférieurs et de ses égaux et concluait qu’il fallait s’examiner avec soin pour voir si l’on agissait bien à l’égard des autres, comme on aime à les voir agir envers soi. L’instruction a été très bien encore ! Je pense que tu l’entendras. C’est Rachel[15] qui doit le rédiger. En voici le sujet : après avoir vidé son cœur de l’égoïsme et de l’amour de soi par le dévouement, il faut le remplir de l’amour de Dieu et pour cela se revêtir (c’est à dire de sa manière de voir et d’agir) de l’esprit de J. C. dont. On se pénètre de cet esprit surtout par l’audition de la parole de Dieu, et les bonnes lectures qui sont comme une goutte d’eau qui tombe chaque jour sur notre âme en y entretenant l’esprit chrétien ; enfin par la Sainte Communion. [M. Rateau] a développé ces trois moyens pendant la séance ; on a fait surtout le scapulaire. J’étais à côté de Marie Flandrin dont les parents[16] partent aujourd’hui pour Plombières. Elle reste avec ses frères[17]. J’ai voyagé avec Mlle Bosvy[18] Lundi ; elle va partir dans très peu de jours pour la Normandie.
Voilà ma chère amie les nouvelles qui t’intéresseront sans doute : quant à ma santé dont tu me demanderais des nouvelles si tu me voyais, je n’ai pas grand chose de nouveau à en dire. J’ai toujours la tête un peu embrouillée sans être plus souffrante d’ailleurs. [Et toi] donne-moi de tes nouvelles. Comment se passe ce séjour ? comment t’arranges-tu de ton rôle actuel très utile puisque votre présence fait plaisir et surtout à vos grands-parents[19] ? Écris-moi tout cela. En attendant je vous embrasse toutes les deux de tout cœur et présente mon respect à votre père[20].
Ton amie
H. Baudrillart
P.S. Marthe t’embrasse ainsi qu’Emilie. Elle a ici le [ ] du cours.
J’embrasse aussi [ ] II [ ] avec la déférence qui lui est due.
Notes
- ↑ Quartier Bellevue à Meudon.
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Marie et sa sœur Emilie Mertzdorff.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Paule Arnould.
- ↑ Marthe Baudrillart, jeune sœur d’Henriette.
- ↑ Henri Baudrillart et son épouse Félicité Silvestre de Sacy.
- ↑ Alfred Baudrillart.
- ↑ Marguerite Geneviève Jenny Trouvé, veuve de Samuel Ustazade Silvestre de Sacy.
- ↑ Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
- ↑ Marie Auguste Eschbaecher.
- ↑ Esther et Athalie, tragédies de Jean Racine (1689 et 1691).
- ↑ Marguerite et Justine Jeanne Biver.
- ↑ Elisa Louise Henriette, sœur aînée de Jeanne, Clotilde et Marguerite Vaugeois.
- ↑ Hypothèse : Rachel Silvestre de Sacy.
- ↑ Paul Flandrin et son épouse Aline Desgoffe.
- ↑ Joseph et Louis Flandrin.
- ↑ Marguerite Geneviève Bosvy.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Charles Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mercredi 2 juillet 1879. Lettre d’Henriette Baudrillart (Bellevue) à son amie Marie Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_2_juillet_1879&oldid=61977 (accédée le 21 novembre 2024).
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