Mercredi 29 juillet 1868

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer)



CHARLES MERTZDORFF

AU VIEUX THANN

Haut-Rhin[1]

Mercredi 29 Midi

J’ai eu le plaisir hier de lire une lettre de toi, ma petite Nie chérie, qui ne m’était pas adressée & qui venait d’arriver à sa destination.

Hier matin j’attendais Léon[2], mais n’ayant pu venir il a envoyé Pétrus pour continuer l’organisation des Rames. A 11 ½, prévoyant un peu de liberté pour la journée, je me suis décidé d’aller faire visite à Colmar[3]. Décidé & fait. L’on ne m’attendait pas & l’on n’a qu’avec peine pu comprendre que je ne venais pas à Colmar pour affaires, mais simplement pour les voir. J’ai trouvé, arrivé à 3 h, Émilie un peu souffrante couchée sur son canapé, c’était son jour. Elle est un peu pâle mais je ne lui ai pas trouvé mauvaise mine.

Edgar était auprès de sa belle-sœur Maria, on l’a prévenu de ma visite & il ne s’est pas fait attendre longtemps. Il a passablement maigri, paraît un peu fatigué. Pendant ma visite est arrivé Mme Laurent qui était un peu attrapée de me trouver là. La réception d’Émilie n’a pas été ce que je croyais, l’on dirait que la pauvre petite sœur subissait la visite & que la présence de la belle dame lui était parfaitement désagréable. Edgar en entrant ne se sentait pas très à son aise non plus. Je ne te ferai pas part de toutes mes réflexions, tu elles ne sont pas gaies. La petite dame est vraiment sémillante & par l’esprit & par la nature & par l’argent. En comparant là, l’une à côté de l’autre, les 2 femmes, pense bien que j’ai peu parlé & beaucoup souffert.

Du reste la conversation, malgré les efforts de la petite dame, se ressentait de la position & malgré une bonne pluie bienfaisante elle s’est retirée à peine entrée.

Toutes ces réflexions bien tristes pour nous seuls tu le comprends.

Ma visite a fait plaisir aux 2. L’on s’occupe toujours de son jardin qui est réellement bien fleuri & joli malgré le peu d’ombre. L’on ne m’a pas beaucoup parlé de Plombières, à ce qu’il paraît il n’y avait pas foule, le monde arrivait seulement à leur départ.

A huit heures j’ai quitté ces pauvres amis & suis rentré à 10 h soir. Je n’ai pas été complètement sage hier & étais bien décidé de ne rien t’en dire ; mais le moyen de te cacher quelque chose ?

Quittant à Midi & demi je n’ai commencé mon dîner que tard, me suis beaucoup trop gloutonnement dépêché pour arriver à temps. Aussi au wagon ai-je souffert de l’estomac. La journée s’est bien passée, il n’en a pas été de même de la nuit. J’ai dû faire plusieurs voyages nocturnes. Aussi ce matin, n’ayant pas trouvé cette nuit, malgré mes recherches maladroites, une certaine fontaine pompante, je viens d’en faire venir une de Thann. Mais sois tranquille, je viens de prendre du sous nitrate de bismuth[4], je vais bien, un peu fatigué & n’aurai que faire de ma nouvelle acquisition. Pour mon déjeuner j’ai pris du thé, en ferai autant pour le dîner & si le soir je compte prendre un peu de Magnésie. Demain il n’y paraîtra plus.

Georges[5] est allé à Mulhouse, son fils[6] seul chef de la maison à Mulhouse il reçoit les amis ce jour, la tante[7] a fait annoncer la visite à Colmar à son petit-fils[8] espère de grands succès & elle ira à la distribution des prix.

Par contre les Zaepffel sont on ne peut plus ennuyés par le fils de Maria qui est à Nancy & s’est fait renvoyer de sa pension. Si il échoue dans ses examens comme c’est probable l’on se trouve bien embarrassé & l’expédiera probablement aux colonies. Par contre Henri[9] va bien & saura bientôt se suffire à lui-même.

Je viens de recevoir ta bonne petite lettre d’hier avec celle de ma chère Marie[10]. Je comprends très bien que vous vous fassiez du bon sang & que le rire est à l’ordre du jour ; avec 2 Oncles[11] aussi taquins que les 2 qui vous entourent l’on ne peut que s’amuser. Tu comprends mon regret bien légitime de ne pas être de la partie. Mais enfin ce ne sont plus que quelques mauvais jours à passer, tu sais bien que loin de m’en plaindre tes bonnes lettres me portent toujours tant de joies & de bonheurs de tous. Les bons jours reviendront & seront d’autant meilleurs.

Je t’adresse quelques industriels.

L’un de mes employés M. Loeffel[12] vient de m’annoncer son Mariage avec une de nos ouvrières Pauline Zwingelstein sœur de Jean du Moulin. La petite fille n’a pas de fortune mais je crois qu’elle sera une bonne femme. Du reste depuis longues années ils habitent la même maison Baechelen[13], ils peuvent se connaître. Je les marierai Dimanche Soir. Vendredi & Samedi j’ai conseil municipal tu sauras donc me trouver si tu penses à ces heures à moi.

J’avais commencé cette lettre le matin ; mais je t’ai quittée si souvent que midi sonne & je n’ai pas terminé. Je vais parfaitement bien maintenant il n’est plus question de rafraîchissants souterrains ; tout cela retourne dans l’ordre. Seulement ayant peu dormi, il se peut que je passe 2 h dans mon cabinet au repos.

Hier & aujourd’hui 2 bons petits orages sont venus à propos relever toutes les plantes, surtout pommes de terre qui ont bien mauvaise mine. Mais l’Eau est bien rare & surtout bien bien sale. Nous avons bien du mal à faire quelque chose de bien. L’on m’a dit Dimanche que l’Indienne de Mulhouse vient laver à Thann. ce qui n’est pas fait pour nous réjouir ; mais ne pouvons l’empêcher. De concert avec les André nous prenons nos dispositions pour vider le canal & une partie des limons qu’il contient. Ce sera pour Dimanche 16 & lundi 17. Jeudi (demain) j’attends Léon[14] qui me dit le père[15] va mieux. Il voudrait que nous nous mettions immédiatement à la besogne pour que cet hiver il puisse doubler sa production il a raison, si faire se peut.

Ici rien de nouveau nous nous préparons à faire l’inventaire fin du mois, il sera bon, mais je vais encore l’écorner, le plus qu’il me sera possible, il y encore trop d’articles dans nos livres qui demandent à être réduits. L’année prochaine nous nous ressentirons plus de toutes nos nouvelles constructions & l’inventaire tout naturellement sera forcé de les porter, ce qui ne l’améliorera pas. Mais pardon chérie de tous ces petits détails de fabrique tu y es par moitié & pour toi a son intérêt. Embrasse bien fort Mimi & Founie[16], remercie la 1ere de sa bonne lettre, toutes mes amitiés à ton entourage pour toi quantité de bons becs comme je te les donnerais si 200 lieues ne s’y opposaient.

Charles Mertzdorff

J’engage bien Mimi de profiter des bonnes leçons de l’Oncle Alphonse. Elle n’a pas si souvent & toutes les petites filles n’ont pas des oncles aussi complaisants & surtout sachant si bien les intéresser.


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Léon Duméril.
  3. Charles rend visite à sa sœur Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  4. Le nitrate de bismuth était utilisé comme remède, en particulier contre la diarrhée, malgré sa toxicité.
  5. Georges Heuchel.
  6. Georges Léon Heuchel.
  7. Élisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
  8. Jules Heuchel.
  9. Probablement un neveu d’Edgar, Henry Zaepffel (ou Rheinwald ?).
  10. Marie (Mimi) Mertzdorff.
  11. Julien Desnoyers et Alphonse Milne-Edwards.
  12. Joseph Loeffel (1833-1899).
  13. Hypothèse : la maison de Jean Baptiste Baechelen.
  14. Léon Duméril.
  15. Louis Daniel Constant Duméril.
  16. Émilie (Founie) Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 29 juillet 1868. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Villers-sur-mer) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_29_juillet_1868&oldid=62221 (accédée le 22 décembre 2024).

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