Mercredi 15 mars 1876 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1876-03-15A pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-03-15A pages 2-3.jpg


Cité de Lutèce le 15ème jour du mois de Mars de l’année 1876e de l’ère chrétienne 68 390 de la création du monde.

Mon Père chéri,

Je reçois à l’instant ta lettre après laquelle je soupirais depuis deux jours pensant que c’était celle-là qui nous fixerait le jour de ton arrivée ; hélas ! quelle déception ! pauvre petit père chéri te voilà donc inondé mais c’est affreux ; je lis et relis ta lettre et je vois que tu as passé une bien vilaine nuit pourvu que cela ne t’ait pas fait de mal. Oh ! que j’aurais voulu être avec toi ! Jamais je n’ai vu la Thur méchante mais je vois qu’elle sait le devenir quand elle veut cependant je ne crois pas d’après ta lettre qu’elle ait été aussi forte que ce fameux jour dont bonne-maman Mertzdorff[1] nous parlait souvent. J’espère bien que maintenant tout est rentré dans le calme mais cependant à en juger par nous, le ciel est encore bien noir et le vent souffle avec force ; la Seine aussi est bien haute et oncle Alfred[2] est sous l’eau.
Pourvu que tous ces ennuis ne retardent pas trop ton voyage ; nous avons si envie de te voir mon papa chéri, sais-tu que voilà deux mois que tu nous as quittées.

Pour te distraire un peu de toutes tes préoccupations je vais te parler d’une chose qui bien sûr te fera plaisir. Eh bien c’est aujourd’hui la distribution des prix[3], aussi Emilie[4] ne tient plus en place elle chante et me charge de te dire que tout son sang bouillonne dans ses veines. C’est qu’en effet, lorsque les concours des prix ont commencé, elle n’avait qu’un cachet de plus qu’Henriette[5] elle est donc très anxieuse sur son sort ; mais mon petit doigt peut te dire dans le tuyau de l’oreille que ses concours de prix ont été excellents et qu’elle va avoir dans quelques heures le prix d’excellence. C’est beau n’est-ce pas ? surtout en 1re division avec des élèves qui ont déjà fait un an de 1re et qui ont toutes un ou deux ans de plus qu’elle.
Elle va être bien contente quand on va lui annoncer cela et je regrette bien que tu ne sois pas avec nous pour en partager notre joie.

Moi je travaille beaucoup en ce moment je ne fais plus que repasser car dans 10 jours ce sera à mon tour à avoir des émotions espérons qu’elles se termineront aussi bien que celles d’oncle[6] et d’Emilie, encore si je réussis à l’écrit ne faudra-t-il pas chanter victoire car rien de plus facile que d’être refusée un mois après à l’oral, cela se voit tous les jours.

Hier M. Edwards[7] est parti pour Cannes où il restera je pense une quinzaine de jours, ce petit repos lui fera du bien car il est très fatigué et tousse énormément.

Jeanne Pavet[8] continue à être très heureuse dans son couvent, on va la f voir souvent mais elle n’a même pas demandé une seule fois à rentrer à la maison.

On ne parle plus ici que de déménagement[9] et toutes les combinaisons sont déjà faites je crois que nous y serons bien mais que de fatigues et d’ennuis avant d’en être là. Les Brongniart avaient presque arrêté un appartement dans l’île Saint-Louis mais voilà que la maison est vendue et comme le bail n’était pas signé le nouveau propriétaire garde ce logement pour lui.

Je viens de recevoir à l’instant une lettre de Marie Zaepffel qui nous remercie du cadeau que tante[10] lui a fait.

Emilie est tellement excitée qu’elle papillonne tout autour de moi, veut lire ma lettre et s’écrie : « De la jolie prose, ma foi ! » Jamais je ne l’ai vue si [diable] je vais l’envoyer chercher nos robes pour m’en débarrasser. Elle prétend que c’est par trop impoli. Jamais elle n’a eu si grande envie de savoir ce que je t’écris, tant pis pour sa curiosité il faudra qu’elle s’en abstienne !

Adieu mon petit papa chéri, Friquet et t’embrasse bien et te promet qu’elle t’écrira ses succès ou son échec. Quant à moi je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime mon petit père chéri,
ta fille aînée
Maire Mertzdorff[11]


Notes

  1. Marie Anne Heuchel (†), veuve de Pierre Mertzdorff.
  2. Alfred Desnoyers.
  3. Au cours que suivent les demoiselles Mertzdorff.
  4. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie (dite « Friquet »).
  5. Henriette Baudrillart.
  6. Alphonse Milne-Edwards, nommé à la chaire d’ornithologie du Muséum.
  7. Henri Milne-Edwards, qui rejoint sa fille à Cannes.
  8. Jeanne Pavet de Courteille, chez des religieuses rue de Vaugirard.
  9. Les Milne-Edwards doivent occuper au Jardin des plantes l’appartement des Brongniart (après le décès d’Adolphe Brongniart).
  10. Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel, qui s’est chargée d’acheter le cadeau de mariage pour Marie Zaepffel.
  11. Signature accompagnée de traits de plume et d’un minuscule dessin d’enveloppe timbrée.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 15 mars 1876 (A). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_15_mars_1876_(A)&oldid=54046 (accédée le 9 octobre 2024).

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