Lundi 13 et mardi 14 mars 1876

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1876-03-13 pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-03-13 pages 2-3.jpg


Lundi 13. Mars 76.

Ma chère Marie.

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fin de ma lettre t’explique ce commencement. l’Eau a baissé de 1.30 nous revoilà à sec, malgré une petite pluie. Je n’entends parler d’aucun malheur, beaucoup de dégâts de champs prés, routes etc... le chemin de fer est arrêté, l’on parle d’un train qui est resté dans l’Eau. mais les communications sont encore difficiles, ainsi le chemin d’ici au moulin impraticable mais pas de dégâts au moulin & fort peu ici à la fabrique. me suis couché ce matin à 4 h & ai dormi jusqu’à 8 h très bien.

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Je laisse cette place pour finir ma lettre car si dès les premières lignes je te disais que je suis là à mon bureau, décidé à ne pas me coucher cette nuit, à avoir les pieds dans l’Eau, non encore dans le bureau mais cela peut très bien y arriver.

Voilà ce qui est. Depuis longtemps nous avons de fortes Eaux, mais rien d’inquiétant. mais la nuit passée & toute la journée la pluie est tombée si dru – avec cela un vent des plus violent – que la rivière a monté, & si bien, qu’elle entre partout dans la cour qui est un lac. les chevaux ont les pieds dans l’Eau & j’ai fait appeler du monde pour faire un barrage provisoire devant le concierge Bruckert. l’eau entrant par les deux portes cochères. Elle montait tantôt de 20 centimètres par heure & probablement plus vite encore de sorte que l’on ne peut pas savoir ce qui adviendra. Pourvu que la rivière ne fasse pas un trou au-dessus du village ce qui est à craindre le plus. Quant à nous ici, nous avons encore un peu de marge, elle peut encore monter de 50 à 60 centimètres sans nous faire trop de mal. heureusement que le temps a l’air de s’adoucir & de moins nous verser d’Eau. Que la pluie s’arrête seulement 2 à 3 h & la rivière descendrait mais il est 10 h 1/2 il faut avoir patience.

Je trouvais que rester avec toi mouillé comme je l’étais n’avait pas ton approbation & je viens de changer. seulement j’ai mon petit lombago qui ne me permet pas de marcher droit, assis cela va bien.

Léon[1] est à Morschwiller depuis hier au Soir mais Georges[2] heureusement est rentré de Thann dès 7 h & c’est lui qui est à diriger les ouvriers.

la femme Bruckert avec sa Smala a couché ses enfants dans la chambre de Cécile[3] & vis-à-vis. Le Jardinier[4] doit arriver avec ses enfants & sa femme & coucher dans les autres chambres. Tout cela est très bien, tant que nous pouvons nous garer dans la Cour, que les Murs résistent etc etc... Il pleut toujours & l’Eau monte encore, avec cela une nuit bien sombre. Enfin c’est presque l’Inondation.
Tu comprends comme je suis content d’être ici & content que nous n’y soyez pas. Encore jamais je n’ai vu la Thur aussi forte, je croyais toujours être à l’abri de ces accidents. Il est 11 h & les heures vont paraître longues. tout naturellement personne ne dort dans la maison. Chacun soupire après le Jour.

Tante Zaepffel[5] vient de m’écrire pour me dire qu’elle vous fait donner à Marie Z.[6] 2 belles lampes & pour moi une suspension à bougies & lampe pour salle à Manger.

Je n’ai pas trop la tête à moi, mais j’aurais dû commencer par féliciter Alphonse[7] de sa nomination qui du reste lui était plus que due & que personne n’a songé à lui disputer ; ce n’est donc une surprise pour personne.

Je rentre à l’instant d’une tournée. l’Eau passe sur le chemin entre potager & chantier de bois. C’est une vraie rivière qui y passe & retombe dans le canal. un gros trou laisse passer l’Eau à travers le mur dans le potager ce n’est que demi mal si le mur résiste & si une partie de la rivière ne passe pas dans le canal car alors tout ne pouvant passer une partie s’en va dans le village. Il pleut toujours mais il me semble que la nuit est moins noire.

Ce qui est fâcheux aussi c’est que c’est Dimanche soir & chacun de ceux qui vient a plus ou moins bu & ne peut guère nous être utile.

2 h Matin. Après un 2e séchage je reviens à toi. Il pleut toujours, mais l’Eau ne monte plus, elle a au contraire diminué un peu.
Cependant le chemin vers Thann est une vraie rivière. à l’Emballage les balles nagent presque aussi bien que Friquet[8]. Je renvoie une partie du monde qui est trempé. Ce pauvre CharlesWallenburger ne peut pas rentrer chez lui, je viens de l’accompagner avec une lanterne, il fera le tour & rentrera chez lui par la montagne. tous les habitants de ces maisons le long de la montagne sont bloqués. au pont j’ai rencontré M. Berger[9] qui est aussi sur pied, chez lui il a de l’Eau dans tous ses ateliers comme ici.
Il pleut toujours l’eau ne diminuera pas sensiblement mais jusqu'à présent il y a peu de dégâts.

En t’écrivant ainsi le temps se passe au moins un peu moins tristement. Mais je me souviens j’avais demandé du thé qui est encore à m’attendre au salon – si j’y allais. Mais je crois la lampe éteinte, faute de l’avoir remontée !

ainsi vous pouvez être parfaitement tranquilles il n’y a plus l’ombre du danger. c’est à peine si la rivière déborde sur les prés. Je rentre d’un grand tour. les fabriques ne travaillent pas.

Ce sont les neiges qui nous valent cette crue si subite & cependant, [au]tant que le brouillard permet de voir, les montagnes sont de nouveau blanches.

petit repos de 4 h m’a fait du bien, c’est à peine si je me ressens de mon lombago de cette nuit. & vais tout à fait bien. l’on me dit si le filtre du [pressoir] est dans la rivière. je ne sais pas.


Notes

  1. Léon Duméril.
  2. Georges Duméril.
  3. Cécile Besançon, la bonne qui a suivi les demoiselles Mertzdorff à Paris.
  4. Édouard Canus, son épouse Virginie Monnin et leurs fils Édouard Siméon et Jacob Canus.
  5. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  6. Marie Zaepffel, qui va se marier.
  7. Alphonse Milne-Edwards nommé à la chaire d’ornithologie du Muséum.
  8. Friquet, Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  9. L’industriel Louis Berger.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 13 et mardi 14 mars 1876. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_13_et_mardi_14_mars_1876&oldid=60335 (accédée le 13 octobre 2024).

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