Mardi 9 août 1870 (C)

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris)

original de la lettre 1870-08-09 C page1.jpg original de la lettre 1870-08-09 C page2.jpg


CHARLES MERTZDORFF

AU VIEUX-THANN

Haut-Rhin[1]

Mardi 9 Août 70

Je t'écris & t'écris toujours, ma chère petite Nie sans savoir si tu reçois mes lettres. Depuis Samedi nous ne recevons pas de Courrier & nous sommes à Mardi Soir. L'on m'assure que le chemin de fer marche jusqu'à Belfort. s'il en est ainsi les lettres doivent aussi arriver jusque-là.

Rien de particulier à te dire d'ici ; nous sommes toujours dans la crainte de voir l'ennemi entrer. Les bruits les plus sinistres circulent se croisent. L'on envoie à Mulhouse chercher des nouvelles. A midi l'on croyait au passage du Rhin ; ce soir mulhouse nous fait dire que d'après les maires des villages longeant le Rhin, l'on ne voit aucune disposition prise pour ce passage. Il est donc remis après une nouvelle bataille qui doit encore se livrer. Attendons & prions.

Tout naturellement je m'abstiens de toute réflexion. Dieu l'a voulu.

Le calme est un peu rentré dans les esprits, l'on est plus résigné, je cherche à rassurer & je ne le suis guère. Je ne puis croire au pillage, les réquisitions de bêtes fourrages & vivres, de toute espèce, se feront. Je donnerai en premier, ce qui est ici, après moi seulement les autres. Lorsque le pays sera à sec ils iront plus loin.

Comment vivrons-nous cet hiver ? question à résoudre lorsqu'on nous laissera le temps.

Par suite d'un anthrax[2] Kestner est au plus mal. Les siens sont très inquiets. Henriet & Berger vont tous bien. Jaeglé vient de partir en voiture pour Mulhouse, l'on dit que l'on n'a plus d'argent & c'est pour en chercher & faire notre paie. A Masevaux l'on n'a pas pu payer les ouvriers faute d'argent. & ceci lorsqu'il n'y a pas encore d'ennemis dans le pays, que sera-ce lorsque le pays sera occupé je l'ignore. Encore une fois j'aurais dû prévoir & ne pas quitter. Je suis rentré trop tard. Quelle misère de ne pas pouvoir se donner 8 jours ! S'il n'en trouve pas j'espère en trouver à Bâle ou à Belfort. Du reste tous mes voisins en sont là Kestner, André[3] & autres.

M'arrive un exprès de Morschwiller bon-papa[4] me dit qu'il a passé la matinée à Mulhouse. Une dépêche du maire de Huningue dit l'ennemi passe le Rhin. Chez le banquier[5] chacun à emballer caisse & titres & livres. Quelques heures après fausse alerte. les Allemands avaient amené des bateaux & pontons pour cet effet.

Mais la banque a déménagé emportant tout l'argent de tout le monde. Le mécontentement est bien grand ! L'on < > – la masse[6].

10 h. Jaeglé rentre sans avoir pu trouver un sol. Me dit que DMC[7] & autres font imprimer des bons de 10 & 20 francs pour faire leurs paies, sera-ce accepté. C'est le général qui a fait déménager l'argent de la banque, c'est une autre calamité que nous devons subir.

Barbé s'en va à Bâle demain nous avons un encaissement à y faire ; j'espère avoir par ce canal un peu de quoi payer mes ouvriers.

Demain matin je quitterai à 6 h pour Morschwiller, n'y dînerai pas, irai à Mulhouse & le soir ma voiture m'attendra à Lutterbach où je me rendrai soit avec Léon[8] soit avec une voiture. Je désire être rentré de bonne heure. te souhaite une bonne nuit, espérant bien trouver ici de tes bonnes nouvelles. Embrasse tous de cœur, ton

Charles Mertzdorff

Mardi 11 h soir. Quelle vie !


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Anthrax : infection de la peau par staphylocoques (C.M. écrit : « une entraxe »).
  3. Marie Barbe Bontemps, veuve de Jacques André.
  4. Louis Daniel Constant Duméril.
  5. Allusion possible à la succursale des banquiers bâlois Oswald.
  6. Charles Mertzdorff fait possiblement allusion au regroupement des créanciers.
  7. DMC est une entreprise textile de Mulhouse, dirigée par les familles Dollfus, Mieg et Koechlin.
  8. Léon Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 9 août 1870 (C). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_9_ao%C3%BBt_1870_(C)&oldid=41062 (accédée le 21 décembre 2024).

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