Mardi 6 septembre 1859
Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Félicité Duméril (Paris)
6 Septembre 1859
Ma chère Maman
Hier déjà je voulais t'écrire et j'en ai été empêchée par une nouvelle préoccupation ; figure-toi qu'en me levant je me suis aperçue que j'avais mes règles ; justement le matin à 6 h Charles[1] était parti avec maman[2] pour Colmar[3], et tu juges combien j'étais inquiète et effrayée ; j'avais entendu dire que lorsqu'une semblable choses arrivait à une femme, elle devait sevrer et cette idée me bouleversait car donner à téter à Mimi[4] est une de mes plus grandes joies ; à midi ne sachant que faire la petite étant si triste de ne rien avoir, j'ai envoyé Mme Cornelli chez M. Conraux qui m'a fait complètement rassurer, me disant qu'il avait vu maintes fois des cas semblables non seulement chez des mères mais chez des nourrices que l'on avait pourtant gardées sans que les enfants en souffrissent et que la nourrice de son petit garçon[5] avait été de même. Ainsi rassurée je me suis d'abord fait téter par un enfant plus âgé, puis ensuite par ma petite mais voilà qu'en moins de 10 minutes elle avait tout rendu par haut et par bas et la même chose était arrivée à l'autre enfant, j'ai alors fait chercher M. Conraux mais il faut vous dire que le matin à l'idée de sevrer j'avais eu un très violent chagrin et que j'avais énormément pleuré étant d'autant plus triste que Charles n'était pas là. C'est à ce chagrin et à ces larmes que M. Conraux a attribué ce lait indigeste qu'avait pris la petite et l'ayant trouvée parfaitement bien du reste il m'a tout à fait engagée à lui redonner à téter ; cette fois, en effet elle a bien digéré et s'est endormie à 6 h pour ne se réveiller qu'à 10 h 1/2 alors elle a mangé sa soupe et s'est rendormie jusqu'à 5 h dans la matinée elle vient de téter et de manger sa soupe et quoiqu'elle ait eu deux selles son estomac paraît très bien, M. Conraux vient de venir et m'a répété que je ne dois m'agiter en aucune manière qu'il y a eu beaucoup de travaux faits sur ce sujet et que l'analyse prouve que le lait dans cette circonstance contient moins de matières nourrissantes mais ne renferme rien de nuisible pour l'enfant. Me voilà remise aujourd'hui mais quand Charles est rentré le soir il m'a bien grondée de m'être ainsi laissé aller au désespoir ; je manque de philosophie quand il s'agit de baby, cela est vrai je le sens, mais c'est bien difficile de se corriger de ce défaut-là. Malgré cette aventure je me porte parfaitement, mange et dors très bien et ai beaucoup de lait, d'ailleurs mon indisposition n'est pas très forte. Samedi soir nous avons été chez les Kestner prendre une tasse de thé mais on a dansé et j'ai refusé de faire comme ces demoiselles ; j'en suis bien contente j'aurais que c'était une imprudence qui avait pu causer mon aventure. Nous venons de recevoir vos bonnes lettres dont nous vous remercions beaucoup. Léon[6] pense vous écrire demain, le voilà de nouveau au laboratoire aujourd'hui ; Georges[7] vient de passer 4 jours à Colmar et pendant ce temps, je n'ai pu décoller Léon de sa [charmante[8]] où il lit avec rage, c'est un très mauvais régime et je suis désolée de le voir rester enfermé quand il est si à même de prendre de l'exercice et le grand air, je ne sais si c'est faiblesse mais il craint tout ce qui est une légère fatigue.
Je connais assez ton obligeance et ton désir de faire <plaisir> pour oser venir te prier, ma chère maman, de rendre un petit service à Mme Cornelli ; il s'agit de chercher à rassortir l'étoffe de cet échantillon, je crois que cela sera très difficile et même impossible mais elle serait tout heureuse d'en ravoir 2 mètres pour refaire un corsage. La robe a été achetée il y a 2 ou 3 ans à Strasbourg. Léon te raconte sans doute la journée d'hier, je t'assure qu'il a déjà bien meilleure mine et meilleur appétit ; nous lui montons tous les matins un demi-verre d'eau de Pulna[9] chaude, cela provoque généralement 2 selles et je crois que cette purgation très douce prolongée pendant quelque temps lui fera grand bien, car son système d'alimentation toujours chaude et sans fruits est je crois bien mauvais et < > échauffant, je veux aussi lui faire prendre des bains mais il s'y refuse. Son temps est bien employé et il ne flâne pas du tout, il est une grande partie de la journée avec Georges au laboratoire, ce qui l'intéresse je crois, Charles a des plans à faire, puis il va à la fabrique, il se couche à 8 h 1/2 et dort jusqu'à 7 h tu vois que le régime est <fortifiant>. Léon vient chercher ces quelques lignes ; adieu ma chère maman je t'embrasse du fond du cœur ainsi que papa[10]. J'ai reçu une aimable lettre de Louise Edwards[11].
Ta fille C M
Notes
- ↑ Charles Mertzdorff, mari de Caroline.
- ↑ Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff, belle-mère de Caroline.
- ↑ Colmar où réside la famille Zaepffel.
- ↑ La petite Marie Mertzdorff, née le 15 avril 1859.
- ↑ Le petit Paul Conraux est né en 1855.
- ↑ Léon Duméril, frère de Caroline.
- ↑ Georges Léon Heuchel.
- ↑ Chambre ?
- ↑ L’eau minérale puisée à Pulna en Bohême, qui contient sulfates et magnésie, est réputée soigner les affections intestinales.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Louise Milne-Edwards se marie en 1859 avec Daniel Pavet de Courteille.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Mardi 6 septembre 1859. Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Félicité Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_6_septembre_1859&oldid=41031 (accédée le 18 décembre 2024).
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