Mardi 31 août 1830

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre)



Au Jardin du Roi ce 31 Août 1830

Nous avons reçu hier, mon cher Henri, ta petite lettre, qui nous a fait beaucoup de plaisir. Nous avons été bien aise d’apprendre que vous aviez fait votre voyage heureusement, et sans trop de fatigue. Tu dois être bien content de te sentir sous le toit paternel, et la perspective de rester quelque temps au milieu de parents qui t’aiment tant, doit te paraître fort douce. Mais je suis certain que tu as éprouvé un sentiment des plus pénibles, en arrivant à la Côte, en ne trouvant pas cette chère Sophie[1], qui remplissait tant la maison, et qui devait, ce me semble, toujours mettre un certain entrain. Elle te manquera beaucoup, et tu seras porté, par tout ce qui t’entoure, à y penser plus souvent que tu ne le faisais à la pension, où tu étais heureusement distrait, par beaucoup de choses.

Je ne sais pas encore comment se passera l’année qui va s’écouler : papa et maman[2] ont eu, il y a quelque temps, un entretien à ce sujet : rien ne paraît encore décidé, mais, l’autre jour, quelqu’un (je ne sais plus qui), ayant demandé à papa si je resterais à la pension, il a répondu qu’il y avait tout à parier que je la quitterais. J’avoue que je me trouve bien, à la maison, et que d’y rester, serait une chose que j’apprécierais infiniment. Il me semble vraiment que sans toi, dont la bonne compagnie, et l’amitié m’étaient si précieuses, je ne me trouverais, non pas mal, ni tristement, à Fontenay, mais beaucoup moins agréablement : si tu étais à ma place, tu penserais aussi, je crois, de même.

Nous jouissons vraiment bien de la bonne visite d’Élise[3], nous nous trouvons fort heureux de la posséder quelque temps : le plaisir eût été double, si tu fusses resté avec elle et Matilde. Maman est, je t’assure, très différente de ce qu’elle était : elle est beaucoup plus gaie : le voyage d’Elise a aussi un autre avantage : c’est que cela fait sortir maman, plus qu’elle ne le faisait, et tu sais combien l’exercice lui est utile : elle se porte bien, quoiqu’elle soit un peu fatiguée. Nous nous réjouissons de voir M. Latham[4], mais nous pensons aussi avec peine qu’une fois arrivé, le départ d’Elise se trouvera bien rapproché. Cécilia[5] est toujours fort gentille : elle ne pleure presque point, et nous fait souvent de petites gentillesses : l’air du Jardin lui est, je crois, très favorable : elle se porte à merveille.

Ma tante[6], comme tu le penses, est toujours la même : cependant, peut-être, un peu moins désagréable avec maman : tu ne dois pourtant pas lui en vouloir, sur ce qu’elle t’a dit, dans ces quelques jours que tu as passés au Jardin, car il me semble qu’au moment de ton départ, elle a cherché à te témoigner quelque regret, sur ce qu’elle ne te reverrait pas d’un ou deux ans.

Je m’imagine que tes neveux t’auront paru bien gentils : Alfred[7] ne t’aura, je pense, pas reconnu, mais il ne tardera pas, j’en suis sûr, à bien t’aimer. Tes beaux-frères[8], je n’en doute pas t’auront fait fort bon accueil. As-tu déjà essayé tes éperons, et ta cravache, sur quelque cheval de manège ? As-tu fait une promenade à cheval, avec Matilde ou Constant[9] ? quand tu verras ce dernier, remercie-le bien, je te prie, pour la lettre qu’il m’a écrite dimanche, et donne-lui l’assurance que maman n’a pas été jalouse de ce qu’il m’avait donné la préférence sur elle.

Hier soir, maman se trouvant un peu fatiguée, nous avons été seulement papa, Elise et moi à la Porte St Martin, voir les Victimes Cloîtrées de Monvel[10], que tu as, je crois, lues, à la pension. Elle fut jouée, pour la première fois, en 1791 : la censure n’existait pas alors, et l’on se permit de mettre sur la scène des moines, et l’on montre combien ils sont faux : il y a des choses, vraiment très fortes, contre les prêtres. La censure n’existe pas, non plus, maintenant, et cette pièce, vraiment révolutionnaire, a reparu sur la scène : elle est intéressante, et n’a pas été surtout mal jouée : le théâtre, qui est fort grand, était entièrement plein. Aujourd’hui, nous irons, avec Eugène[11], visiter l’hospice des Enfants Trouvés : il paraît que c’est assez curieux. Nous avons été Dimanche à la revue, avec Raoul[12] et Eugène. Tu as dû voir les détails dans les journaux : c’est fort beau : malheureusement nous n’avons pas vu le roi d’assez près[13]. Il y avait aussi une poussière affreuse, ce qui ne laissait pas d’être très désagréable ; c’était aussi très fatigant : nous sommes restés au Champ de Mars environ 4 à 5 heures. J’irai incessamment au faubourg Poissonnière[14], et je verrai à arranger de quelle manière je pourrai te faire parvenir tes livres, et ta bibliothèque. Je te dirai que je me suis mis au travail, et j’ai appris de la grammaire grecque, et 3 pages de racines : j’espère que ce travail me profitera.

Adieu, mon cher Henri : le temps et le papier me forcent à t’embrasser en affectionné cousin et ami. Tous mes alentours t’embrassent aussi. Jacquenoux a eu bien du regret, de ne t’avoir pas fait ses adieux. Maman me charge de te dire qu’elle t’écrira bientôt.


Notes

  1. Sophie Delaroche, la sœur d’Henri, est morte au mois d’avril 1830.
  2. André Marie Constant Duméril et Alphonsine Delaroche.
  3. Pauline Élise Delaroche, épouse de Charles Latham et sa sœur aînée Matilde Delaroche, épouse de Louis François Pochet.
  4. Charles Latham, le mari de Pauline Élise.
  5. Cécilia Latham.
  6. Sa grand-tante, Élisabeth Castanet, tante d’Alphonsine.
  7. Alfred Pochet.
  8. Louis François Pochet et Charles Latham.
  9. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  10. La pièce de Jacques-Marie Boutet de Monvel (1745-1812), Les Victimes cloîtrées, est représentée pour la première fois sur le Théâtre de la Nation, au mois de mars 1791.
  11. Eugène Defrance.
  12. Charles Edmond Raoul-Duval.
  13. Au début de son règne, Louis-Philippe effectue de nombreuses apparitions publiques, en particuliers lors de revues militaires.
  14. La famille Duméril habite au Jardin des Plantes ; André Marie Constant Duméril a gardé l’appartement du 3 rue du faubourg Poissonnière pour sa clientèle.

Notice bibliographique

D’après les « Lettres adressées par mon bon mari A. Auguste Duméril, à son cousin germain Henri Delaroche, du 30 Août 1830, au 6 Mai 1843 » in lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2e volume, p. 719-723

Pour citer cette page

« Mardi 31 août 1830. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_31_ao%C3%BBt_1830&oldid=60876 (accédée le 21 novembre 2024).

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