Mardi 28 décembre 1858

De Une correspondance familiale

Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre)


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Vieux-Thann

28 Décembre 1858

Vas-tu crier au miracle, ma chère petite Isabelle, ou bien vas-tu rendre cette lettre au facteur sous prétexte que tu ne connais pas l'écriture afin de punir la malheureuse qui te l'envoie ? non n'est-ce pas, tu ne seras pas si méchante car tu sais qu'il faut toujours pardonner et ce pardon, je l'implore au nom de notre vieille et bonne amitié et du bonheur que nous causait cette correspondance si longtemps interrompue. Maman[1] t'a dit mes remords et mes empêchements et surtout je l'espère combien je pense à toi et comme je t'aime toujours à la manière de la Crol d'autrefois qui je te l'assure malgré son titre de dame dont elle jouit depuis six mois, son titre de maîtresse de maison dont elle sera revêtue tout à fait dans une quinzaine de jours et son titre de maman qui la rendra si heureuse dans quelques mois est toujours la même Crol qui aime à rire et à bavarder et surtout à penser à ceux qu'elle aime. Sérieusement tu sais que si j'ai été si longtemps sans t'écrire, c'est que j'étais bien souffrante et l'entrain me manquait pour maintes choses mais particulièrement pour prendre ma plume. J'ai eu la chance d'avoir plusieurs fois directement des nouvelles du Havre, par M. Kestner[2] ; par Mme Dollfus[3] dont la visite m'a bien étonnée puis par le fils Müller Koch[4] que j'ai eu le regret de ne pas voir moi-même lorsqu'il est venu me parler de la Côte et de ses habitants ; seulement ce que je ne sais plus du tout et dont il faudra que tu m'instruises ma petite Isabelle c'est ce que tu fais et ce que tu deviens cet hiver : leçons, amitiés, soirées etc. Grâce à ce long carnaval votre hiver sera sans doute fort gai et animé et je pense que tes 17 ans te donneront bien des permissions de minuit. J'ai bien pensé que vous étiez tous réunis le jour de Noël, il en sera probablement encore de même le jour de l'an. Pour moi, j'ai une vie bien calme, bien tranquille, je dirai même bien uniforme comparée à celle de Paris ou de la Côte mais ce que je puis t'affirmer c'est que j'ai plus de bonheur que jamais je n'aurais osé en rêver ; et je maintiendrai plus que jamais que lorsqu'on est heureux dans son ménage avec un mari comme le mien on pense bien peu au monde et aux soirées et que le coin du feu a des charmes qu'offre bien rarement la société. Comme tu le sais, je ne suis pas encore dans mon ménage mais j'y entrerai dans une quinzaine de jours ; nous avons eu bien de l'ennui avec les ouvriers qui travaillent si lentement mais je suis sûre qu'une fois installés, nous serons à merveille et dans le vrai confortable. Notre chambre est verte, la chambre de baby qui touche à la mienne est lilas avec les meubles et les rideaux pareils au papier ; le petit salon avec un papier pompadour aura un meuble et rideaux de velours bleu, la petite salle à manger est verte et acajou, la grande toute chêne et le grand salon que nous meublerons quand nous pourrons aller à Paris est tout blanc ; Charles[5] a son cabinet et sa bibliothèque au même étage mais avec un autre escalier, de sorte que les gens de la fabrique ne passeront pas chez nous. En bas nous aurons le billard, le laboratoire de Charles, la salle de bains etc. De chaque côté de notre chambre nous avons de beaux cabinets de toilette et à côté de baby's room une chambre d'amis que maman va venir occuper ce printemps. Au second nous aurons encore deux ou trois chambres à donner comme tu le verras, je l'espère bien.

J'ai fait connaissance avec à peu près toute la société ; parmi les dames les plus gentilles, Mmes Risler[6] et Scheurer Kestner[7] sont au premier rang.

Voilà encore du bavardage n'est-ce pas ma petite Isabelle comme jadis, aussi tu me répondras dans le même style et sans me punir trop longtemps par la loi du talion. Je n'ai pas pensé que de Vieux-Thann il fallait 2 jours pour aller au Havre, j'espérais que cette lettre t'arriverait le jour de l'an car je voulais te charger de tous nos souvenirs les plus affectueux et de tous nos meilleurs vœux de bonne année pour ton cher père[8] dont nous parlons souvent Charles et moi ; tu embrasseras bien fort Lionel et tu présenteras n'est-ce pas mes compliments et amitiés à Mlle Pilet. Je ne dis rien d'Edmond mais j'ai appris avec bien grand intérêt son départ et j'ai beaucoup pensé à toi, sois en sûre.

Je te charge aussi de tous mes souvenirs amitiés et souhaits pour les Delaroche, Pochet, etc. grands et petits car j'espère bien qu'ils ne m'ont pas oubliée toute Alsacienne que je suis devenue. Embrasse surtout bien Mathilde[9].

Quant à toi, ma bien chère Isabelle je t'envoie l'assurance de ma tendre affection qui je te l'assure ne t'a pas fait défaut un instant quoique j'aie été bien longtemps sans te l'exprimer ; reçois autant de bons baisers que j'aurais aimé t'en donner pour de bon si j'avais été à Paris quand tu y es venue et crois moi toujours

ta vieille Crol

Mon adresse est :

Mme Charles Mertzdorff

Vieux-Thann

Haut Rhin.

Trouves-tu que j'aie perdu mon griffonnage de jeune fille ?

Je ne suis guère plus propre. Mille pardons.


Notes

  1. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  2. Charles Kestner industriel à Thann.
  3. Ursule Koechlin, épouse d’Auguste Dollfus.
  4. François Thiébaud Müller le fils de Thiébaut Müller et Marie Anne Koch Marie Anne Koch.
  5. Charles Mertzdorff.
  6. Possiblement Louise Joséphine Schmerber (1823-1906), épouse de Georges Alphonse Risler.
  7. Le 25 novembre 1856, Céline Kestner a épousé Auguste Scheurer, chimiste à Mulhouse, qui a rejoint l’usine de son beau-père.
  8. Charles Latham est veuf depuis 1852. Mlle Pilet est gouvernante auprès des plus jeunes enfants, Isabelle, née en 1841, et Lionel Henry, né en 1849. Richard Edmond est né en 1837.
  9. Louise Mathilde Pochet, née en 1844.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 28 décembre 1858. Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_28_d%C3%A9cembre_1858&oldid=57103 (accédée le 16 avril 2024).

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