Mardi 19 mai 1874 (B)

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)

original de la lettre 1874-05-19B pages1-4.jpg original de la lettre 1874-05-19B pages2-3.jpg


Vieux-Thann le 19 Mai 74.

Bravo, bravissimo ma chère enfant & amie, te voilà bien récompensée de tout ton travail de l'année[1].

Un bon baiser pour cette bonne nouvelle en attendant que je me dédommage un peu de cela dans peu de jours pour une petite moisson de baisers plus substantiels sur tes grosses joues.

Nous savions à l'avance que ton petit Friquet[2] serait première, mais par cela même qu'il n'y a pas surprise pour nous, elle n'en a pas moins de mérite & je compte bien dans quelques jours en manger un bon petit morceau pour lui prouver qu'elle est ma toute chérie.

Je comprends que vous vous soyez bien amusées à la distribution des prix, vois que Mme Charrier[3] sait très bien arranger les choses. Et les petites palpitations se comprennent de même ce sont des souvenirs qui restent & l'on y pensera souvent.

Bien plus que vous, mes chers Enfants j'ai regretté de ne pas être au milieu de vous, recevoir vos joies légitimes & vous donner les miennes. Mais dans la vie il faut savoir s'imposer quelques privations utiles & l'on n'est pas plus malheureux pour cela, bien au contraire la conscience d'avoir fait son devoir <est> une bonne source claire & limpide de bonheur.

Ce que tu me dis d'être privée de mes nouvelles depuis 8 jours a lieu de m'étonner & quoique je ne prenne pas note du jour auquel je vous écris, je sais très bien que je vous ai au contraire écrit plus souvent cette dernière semaine que d'habitude. Mes lettres ont dû se perdre & comme le plus souvent j'écrivais le soir pendant que Georges[4] lit au salon j'ai fait appel à ses souvenirs, puisque j'ai lieu de me méfier de ma propre mémoire & il a amplement confirmé le fait. Aurais-je mal mis l'adresse ? etc... Comme vérifier n'est plus possible nous nous contenterons de suppositions. Heureusement que je vais tout à fait bien, je suis très occupé & depuis quelque temps je sais un peu mieux employer mon temps pour le bien de l'usine. Je trotte davantage dans la fabrique & si je ne gronde pas beaucoup, je fais bien peur, d'autant plus peur que l'on me voyait peu.

Tu sais qu'entre le grand pont & le petit pont du canal il y avait une plantation de peupliers c'était un petit monticule fait avec nos crasses de houilles. Pour élever le chemin conduisant au nouveau Pont qui est très beau, j'ai permis que l'on prenne Cette terre qui se trouvait dans ce bouquet de peupliers. Cela n'a pas fait de bien aux arbres comme c'était à prévoir, mais c'était une chose utile pour tous. Il y a 2 jours un gros vent a renversé la presque totalité de nos pauvres peupliers. C'était le soir à 8-9h, le matin dès 2h peut-être toute la nuit une population entière petits & grands se sont rués sur ces pauvres arbres, c'était un pillage en règle. Mon Oncle[5] s'est beaucoup fâché & s'est fait bien du mauvais sang. Le dommage est si peu important que je n'ai vu que le fait dont il y a à s'affliger beaucoup mais pas à s'étonner, c'est une Commune en petit & par le temps actuel les communards se recrutent plus aisément que les honnêtes gens.

Ma petite histoire des quelques arbres est bien longue, mais pour moi aussi elle est très longue en conséquences qui malheureusement ne se réduisent pas à Vieux-thann seulement que je considère encore pour une population plus saine que beaucoup d'autres.

Je te dirai que je n'ai pas trouvé la petite boîte à <échantillons> crochet que tant[6]e demandait pour toi. Par contre je vais m'occuper de chercher la chaîne dont me parle ta dernière & Pour Emilie je vais réunir tout ce que je trouverai de Gartenlaube[7].

C'est, il me semble, tout ce que vous me demandez.

Tante Zaepffel[8] m'écrit elle compte être à Paris en même temps que nous & se réjouit bien de vous embrasser.

Mais l'important j'allais l'oublier Dimanche il a été décidé avec bonne-maman[9] que nous partirons Samedi soir pour être Dimanche matin à Paris. Quant à Léon[10] ne voulant pas laisser son père[11] seul, il restera à Morschwiller.

Je t'embrasse de tout cœur & dis bien à Oncle & tante[12] que je les aime bien ; un bon bec plus gros qu'elle à Friquet de son père qui l'aime bien.

Charles Mertzdorff


Notes

  1. Au cours de Mme Charrier-Boblet.
  2. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  3. Caroline Boblet, veuve d’Edouard Charrier.
  4. Georges Duméril.
  5. Georges Heuchel.
  6. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  7. Gartenlaube est un journal en allemand de grande diffusion.
  8. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  9. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  10. Léon Duméril.
  11. Louis Daniel Constant Duméril.
  12. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 19 mai 1874 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_19_mai_1874_(B)&oldid=40779 (accédée le 22 décembre 2024).

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