Mardi, mi-décembre 1872

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)


original de la lettre 1872-mi décembre pages 1-4.jpg original de la lettre 1872-mi décembre pages 2-3.jpg


Vieux-Thann[1]

Mardi 1h

Ma chère petite Gla,

Charles[2] est à Morschwiller, j'ai 20 minutes avant que Melchior[3] viennent demander les commissions je veux en profiter pour te faire une petite visite. Nous venons de restaurer nos forces affaiblies par la fabrication d'un tableau des âges héroïques de l'histoire grecque[4], et par un autre avec Émilie[5] de la première époque de l'histoire romaine ! Tout cela est fort beau, fort intéressant et quoiqu'on y trouve le portrait fidèle des âges actuels ; un peu d'histoire moderne, comme un petit bavardage avec toi, c'est rafraîchissant pour l'esprit et doux au cœur.

Il est établi que ce bavardage est pour maman[6] aussi, <et> m'adressant à vous deux je n'ai pas besoin de réfléchir à ce que je vais écrire, et ça marche bien plus vite. C'est comme lorsque tu m'écris du laboratoire auprès d'Alphonse[7] je vous vois si bien tous deux en imagination qu'il me semble quelquefois que le parfum de sa science vient jusqu'à moi. Quel bonheur que ton cher mari aille bien, qu'il ne se ressente plus de l'indisposition qu'il a eue cet automne. C'est comme pour notre bonne mère, on est bien heureux de savoir qu'elle peut aller et venir, car quoique ses pensées la suivent partout cependant lorsqu'on est seule vis-à-vis de soi-même, elles prennent encore une tournure plus triste. Le temps humide lui va mieux que le froid paraît-il, car cette année ce sont des déluges continuels, les eaux sont fortes partout ; de nos côtés il n'y a pas de dégâts, la rivière est très belle, mais elle coule majestueusement et dans le lit qu'on lui a assigné. Les montagnes ont une teinte blanchâtre qui nous fait espérer que la pluie finira par cesser.

M. Thiers est va encore triompher, et paraît se rendre encore une fois l'arbitre des parties. Il aura eu un beau rôle au milieu de la triste phase que traverse notre pauvre France. Plus que jamais on aime son pauvre pays.

Georges Duméril est venu surprendre sa tante[8] Samedi à Morschwiller, on nous l'a annoncé Dimanche ; il parait que Clotilde[9] a été un peu souffrante, elle engraisse trop, on la met au régime.

Je suis bien embarrassée de savoir quoi faire faire à Marie[10] pour sa petite filleule à venir[11] ; j'avais pensé à un couvre-pieds au crochet. Et puis il faut bien faire aussi un petit cadeau comme robe et bonnet. Il ne me vient plus de marchandise de broderie, et je suis très embarrassée. Un bon conseil ? De même à l'endroit de Mme Bonnard[12] j'aurais voulu donner quelque chose à mon filleul Pierre[13], et un petit objet pour le baby qui doit venir ces jours-ci[14] ? Et pas une idée. R.S.V.P.

Nous aurions bonne intention pour nos intimes toi et maman et cependant nous n'avons encore rien de commencé, car les fillettes n'ont réellement pas une minute depuis que je t'écris elles font leurs devoirs allemands tant elles ont à cœur que tout soit fait exactement, la maîtresse[15] vient à 1h ½.

J'oublie de te dire qu’Émilie va tout à fait bien ; le bismuth a joué un rôle souverain. Demain nous comptons aller à Mulhouse je tâcherai de prendre un moment pour voir pour les emplettes de jour de l'an, on est si embarrassées !

Ce que tu me dis de ta nouvelle société pour les écoles, ce n'est pas ennuyeux, c'est à peu près ce que nous faisons ici dans les différentes classes au Noël, j'ai la liste des enfants, mais je n'ai pas encore pris de mesures, et il n'y a plus que 15 jours, je ne sais comme le temps passe. Nous, ou plutôt Thérèse[16] raccommode les tapis, je nous ne voulons pas en acheter de neufs, il faut que les vieux aillent.

Adieu, ma chérie, je t'embrasse bien fort, fais-en autant à maman et écris-moi.

EM

Je reprends ta dernière lettre, t'ai-je répondu à tout. Tu me demandes quoi pour les enfants ? Mais n'importe quoi leur fait plaisir, en ce moment on découpe et on colle toute sorte de petites choses quand on a une minute (tu sais des feuilles avec des sujets ménagerie, fermes &)

On dit les ouvrages de Mme Bourdon[17] jolis et pouvant se lire, ceux de Margerie Contes d'un Promeneur, Scènes de la Vie chrétienne[18].

 de Mme de Stolz, Simples histoires, Julie,[19]
de Mlle Fleuriot La vie de famille[20], &&
Mme de Bassanville : Les deux familles[21],
de Z Fleuriot La Clef d'or[22].

Ce sont des titres que je prends dans un catalogue qu'on m'a recommandé ; je crois ces ouvrages bons, mais un peu au-dessus de l'âge ; aussi ne faudrait-il en donner qu'un ou deux au plus à Marie

Il est tard Melchior attend

Mille amitiés à tous.


Notes

  1. Lettre à situer en 1872 (naissance d’Andrée Bonnard), après le succès du traitement au bismuth.
  2. Charles Mertzdorff.
  3. Le concierge Melchior Neeff.
  4. Tâche scolaire de Marie Mertzdorff.
  5. Émilie Mertzdorff.
  6. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  7. Alphonse Milne-Edwards.
  8. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  9. Clotilde Duméril, épouse de Charles Courtin de Torsay.
  10. Marie Mertzdorff.
  11. Louise Soleil (née le 22 décembre 1872).
  12. Elisabeth Mertzdorff, épouse d’Eugène Bonnard.
  13. Pierre Bonnard.
  14. Andrée Bonnard.
  15. Probablement Joséphine Bulffer.
  16. Thérèse Neeff, domestique chez les Mertzdorff.
  17. Mathilde Bourdon (1817-1888), auteure de dizaines de récits pour l'enfance et de textes moraux, historiques et religieux.
  18. Eugène de Margerie (1820-1900), Contes d'un promeneur (1862) ; Scènes de la vie chrétienne (1859-1860) et Nouvelles Scènes de la vie chrétienne (1869).
  19. Madame de Stolz (Fanny de Bégon), Simples Nouvelles (1859), Julie (1863).
  20. Zénaïde Fleuriot (1829-1890), La Vie en famille (1862).
  21. Anaïs de Bassanville (1802-1884), Les Deux Familles, ou Bonne et mauvaise éducation (plusieurs éditions).
  22. Zénaïde Fleuriot, La Clef d'or (1866).

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi, mi-décembre 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi,_mi-d%C3%A9cembre_1872&oldid=61468 (accédée le 21 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.