Jeudi 5 et vendredi 6 décembre 1872

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

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Vieux-Thann[1]

Jeudi soir

Ma chère petite Gla

Depuis quatre jours je veux t'écrire un peu longuement, car quand on n'a rien à se dire et qu'on écrit en poste, réellement c'est un semblant de lettre qu'on adresse à ses amis, mais comme toujours je ne sais pas trouver le temps de mettre à exécution tous mes beaux projets. J'ai reçu ta bonne lettre de Dimanche, par là je vous vois tous, chacun dans vos occupations et c'est là ce qui me plait car je puis assister à vos réunions par la pensée, à vos courses, à vos travaux. Merci donc, ma Chérie pour ta bonne lettre, continue ainsi.

Ma petite Émilie[2] continue a être fortement dérangée (10 et 12 fois par jour) c'est beaucoup trop et avec cela des coliques ; les lavements au laudanum ne font rien, aujourd'hui nous avons commencé l'emploi du bismuth, j'espère que ça va mieux réussir. Si elle n'était si fraîche, si gaie, je me tourmenterais, mais pas l'ombre de fièvre, bon sommeil, et ce qu'elle mange lui paraît bon, nous avons cependant fait venir le médecin, parce que cette petite indisposition se prolonge trop.

J'ai reçu une lettre de Mlle Augusta[3] en réponse à ce que je lui avais communiqué au sujet de position qu'on pourrait lui trouver à Paris, mais de la nécessité du voyage si elle désire arriver à trouver. Mais elle nous remercie beaucoup de notre intérêt, me dit avoir reçu une charmante lettre de Mme Edwards[4] && mais en résumé pour le moment il n'y a pas à nous occuper d'elle, elle ne paraît pas pressée de trouver une position, elle est auprès de sa sœur[5], s'occupe de son petit neveu[6] et ne paraît pas disposée à faire le voyage de Paris &, aussi j'ai écrit de suite dans ce sens à Mlle Boblet[7] afin que pour le moment on ne cherche pas de position à notre protégée. En envoyant les devoirs d'Émilie j'en dirai autant à Mme Charrier[8]. Je te remercie bien du mal que tu <t'es> donné encore là pour rendre service à Mlle Augusta. Je crois qu'elle est effrayée de Paris.

Marie[9] est dans la joie de son cœur, les deux concours[10] arrivés aujourd'hui lui ont valu deux cachets roses et des T.B. ; tu comprends que cela donne courage pour continuer à bien travailler. En ce moment tout en se couchant, elle rit tant qu'elle peut en énumérant tout ce que St Nicolas doit apporter cette nuit dans son soulier ; Un écheveau de fil noir, un bonhomme en brioche, une <verge> & on crie bonsoir à St Nicolas en lui recommandant de bien faire sa besogne &&

Voilà une dépêche d'un prussien, commerçant de Berlin qui pour quelques pièces qu'on a à lui blanchir fait je ne sais quelles recommandations. Quelle vexation d'avoir à faire à des gens aussi juifs. Emilie demande à Charles[11] pourquoi il a pris sa grande figure sombre qu'elle n'aime pas quand papa a cette figure. Et il faut bien rire avec la petite séduisante, et c'est bien heureux. Cette Emilie je ne lui vois pas un défaut, toujours quelque chose de gracieux et d'aimable à vous dire, même quand il faut comme dans ce moment l'ennuyer avec un remède fort désagréable.

10h ½ Voilà mon rôle de St Nicolas rempli, les petits paquets de biscuits, de gaufres, de pruneaux, de cerises, de fil, sont faits et ornent les deux gros chaussons... et demain au réveil ce sera une véritable fête, il n'y a pas de quoi. Avec Marie nous sommes allées cette après-midi porter à un des orphelinats les bonshommes pour demain matin ; demain après le cours nous irons à l'autre porter quelques papillotes.

Hier à cause d'Emilie nous sommes restées à la maison. J'en ai profité pour aller aux écoles de couture de Roderen et de Leimbach. Ce matin l'école de couture de Vieux-Thann et mes petites corbeilles de poires à préparer pour les enfants de mes entours, concierges[12], cocher, jardiniers & et voilà la journée passée.

J'ai bien reçu les petits chapeaux de velours, ils me paraissent jolis ; elles ne les ont pas encore mis, je te remercie bien de t'en être occupée ; à propos de ceux à te renvoyer Charles a dit : « Tu pourrais peut-être les garder jusqu'à ce que tu ailles à Paris ! » Paroles mémorables, Marie m'a regardée, j'ai regardé Marie, nous nous sommes souri Charles en a fait autant. Ce qui voulait dire en bon français que nous irions à Paris cet hiver. C'était suffisant. Pour l'époque il ne peut pas en être question en ce moment, mais cela ne fait rien, nous n'en demandons pas plus.

J'attendrai une occasion pour pouvoir rentrer les chapeaux en France, d'ici là nous trouverons peut-être qu'ils vont bien.

Merci pour les indications du manteau, je vais me faire un caraco, c'est le plus commode.

Bonsoir ma Gla, je t'embrasse de tout cœur.

Vendredi 1h

Ma petite Émilie est encore au lit, mais il me semble que le bismuth produit bon effet ; elle va se lever. Marie a eu son cours ; bonne-maman Duméril[13] est ici. Je ne sais que répondre à tes questions au sujet de ce que maman[14] voudrait me donner. Pauvre mère qu'elle ne se tourmente donc pas. J'avais bien deviné qu'elle était ennuyée de n'avoir rien envoyé pour le 17 ; mais il n'y a pas de quoi. Pourquoi ne pas faire faire une petite <> de la forme de la tienne en fond de dentelle avec une dentelle cousue au bord ?

Ou une voilette comme tu trouverais le mieux pour toi.

Quant aux enfants[15] je ne sais que te dire ? On vient de me remettre une liste de livres pouvant convenir aux jeunes filles de 14 à 16. Je pourrais t’envoyer quelques titres pour Marie, mais pas de profusion ; un bon ouvrage vaut beaucoup mieux que beaucoup qu’on ne lit pas.

Marie est sensible maintenant à un petit objet de toilette ; ainsi en ce moment je fais la généreuse avec mes vieilles cravates bleues, rouges, et on me remercie comme d’une jolie chose, ça passe de mon carton dans les leurs.

Je suis contente pour toi que la petite Berthe[16] soit rue Oudinot, nous irons la voir avec plaisir.

Adieu, ma chérie, bien des amitiés à Alphonse[17] et à Maman.

Charles, les enfants et moi vous embrassons de tout cœur.

Eugénie Mertzdorff

Bonne-maman Duméril vous envoie à tous mille bonnes amitiés.


Notes

  1. Lettre non datée, à situer juste avant la St Nicolas (le 6 décembre).
  2. Émilie Mertzdorff.
  3. Marie Auguste Eschbaecher, ancienne institutrice des petites Berger.
  4. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. Valérie Eschbaecher, épouse de Jean Baptiste Ruyer.
  6. Auguste Urbain  Ruyer.
  7. Aimée Sophie Élisabeth Boblet.
  8. Caroline Boblet, veuve d’Édouard Charrier.
  9. Marie Mertzdorff.
  10. Les épreuves du cours des dames Boblet.
  11. Charles Mertzdorff.
  12. La famille du concierge Melchior Neeff.
  13. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  14. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  15. Marie et Émilie Mertzdorff.
  16. Berthe non identifiée.
  17. Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 5 et vendredi 6 décembre 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_5_et_vendredi_6_d%C3%A9cembre_1872&oldid=61962 (accédée le 12 décembre 2024).

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