Lundi 25 mars 1872

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

original de la lettre 1872-03-25 pages 1-4.jpg original de la lettre 1872-03-25 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann[1]

Lundi 11h ½

Ma chère petite Gla,

Hier j'allais écrire à maman[2] lorsque j'en ai été empêchée par la visite de nos voisins ; depuis m'est arrivée ta bonne lettre et pour répondre de suite à tes questions je prends la plume avec l'intention de causer un moment avec toi, maman n'en sera pas jalouse et prendra ce bavardage comme s'il lui était adressé en propre.

Je suis bien heureuse de savoir que vous allez tous bien, la vie active que maman mène, sans en éprouver trop de fatigue, est un bon signe, et je vois que le lombago de papa[3] n'est pas trop méchant puisqu'il lui permet de continuer ses occupations et que même il pensait aller trouver Mme Roger[4] si la maladie de son mari s'aggrave, et je trouve que papa aurait raison. Quant à toi je n'en parle pas tu es de ces natures qui sont en je sais quelle matière résistante qui en font plus que les autres sans payer de mine, et qui ne se plaignent jamais, aussi je ne te demande pas comment tu vas je jugerai par moi-même lorsque tu voudras passer 8 jours avec nous je suis bien prévenue qu'il ne faut pas que je demande plus, eh bien on jouira de ce que tu voudras bien nous donner sans rien demander tu sais que ta présence fait plaisir et tu nous le prouve en venant pour le 5 Mai au moment où Alphonse[5] rentrera après avoir été absent ; c'est dommage que l'Écosse et la mer ne soient pas sur la route de Thann ! mais qu'y faire ? C'est comme pour l'annexion ! se résigner et attendre.

Tu as raison de répondre à ceux qui demandent ce que nous ferons que nous n'en savons rien ; c'est la vraie vérité. Notre désir est bien que Charles[6] puisse se reposer, prendre le temps d'être avec nous, de planter ses choux, loin des Prussiens, de tâcher que nos petites filles[7] jouissent le plus possible de l'affection et du bon exemple de tante Aglaé && Mais comment en arriverons-nous là ? Jusqu'ici les projets de société tombent dans l'eau et les autres sont difficiles à organiser pour arriver à quelque chose de sérieux et qui permette que Charles ne soit pas nécessaire. En attendant le temps passe encore vite, les arbres fleurissent, les gazons verdissent... et hier je déclarais que, lorsque mes filles n'auraient plus besoin de moi, je me ferai jardinière, j'aime toujours beaucoup les fleurs, je voudrais pouvoir vous envoyer tout le réséda et les violettes de Parme de la serre, Charles rit de moi avec mes petits bouquets. Jusqu'ici je suis très contente du jardinier[8]

R.P. aux questions.

- Pour le Paroissien, j'avais compris que c'était un paroissien en 4 volumes (un pour chaque saison) que tu pensais lui faire donner par maman, et d'une reliure simple et solide sans dorure ni fermoir, et ça me paraissait tout à fait ce qu'il pouvait y avoir de mieux pour elle[9], car (j'ai dans l'armoire les 2 paroissiens de Caroline[10] en un volume comme les nôtres et que je leur donnerai plus tard comme souvenir car l'un est déjà un peu usé et l'autre est trop beau.

- Pour le Vicaire achète un ouvrage de sermon de quelques auteurs célèbres dans les 25 à 30 F, une reliure de bibliothèque. Tu as le choix, Fénelon[11], Bourdaloue[12], Massillon[13], le p. de Ravignan[14] && ou tout autre ça m'est égal.

- Pour les boîtes il suffit d'en envoyer 8, ça dépend de la boîte dans laquelle vous pourrez les emballer.

- Pour les fleurs blanches pour lesquelles tu as bien voulu nous renseigner, ne t'en occupe plus je à moins que je ne t'en récrive, nous avons été armées de tes renseignements voir ce qu'il y a à l'Eglise et nous allons faire venir de Strasbourg pour que ce soit pareil à ce qu'on a et qui pourra servir pour l'autre autel, et avec ce que tu nous avais écrit nous pouvions fixer ce que Marie voulait dépenser.

- Pour la pendule de M. le Curé[15] un bloc de marbre très simple et pas grand (Charles en a acheté passage Jouffroy de 30 à 50 F) et pour le sujet nous voul ne désirons que de l'imitation et il me semblait que le St Pierre (dans le magasin où maman a acheté mon bénitier) ne vaudrait pas plus de 25 F ou 35 F ou la Ste Famille, ou un St Joseph ?

Je suis bien ennuyée de donner tant de mal à maman, car voilà bien des fois qu'elle s'occupe de cette commission, embrasse-la bien pour moi ; notre Curé est simple et très religieux et je crois que c'est ainsi qu'il faut le servir et lui remettre le surplus pour ses pauvres.

Mme Zaepffel[16] a écrit tout le plaisir qu'elle avait à vous voir, que Mme Edwards[17] avait été charmante.

Adieu ma Gla chérie, écris-moi si j'oublie de répondre à quelque chose. Je t'embrasse de tout cœur, fais-en autant à maman et aux autres.

Eugénie

J'ai la grande lessive cette semaine, tout le linge depuis le mois d'Octobre à sécher Mercredi ! Quel temps aurons-nous ? That is the question ?


Notes

  1. Lettre non datée, à situer après le 21 mars 1872 (arrivée du nouveau jardinier) et avant Pâques.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Jules Desnoyers.
  4. Pauline Roger, dont le mari Louis Roger meurt peu après ; ou bien l’épouse du médecin Henri Roger ; ou une autre famille.
  5. Alphonse Milne-Edwards.
  6. Charles Mertzdorff, soucieux de l’avenir de ses entreprises après l’annexion.
  7. Marie et Emilie Mertzdorff.
  8. Édouard Canus.
  9. Cadeau pour Marie Mertzdorff qui fait sa communion le 5 mai.
  10. Caroline Duméril (†), première épouse de Charles Mertzdorff.
  11. François de Salignac de La Mothe Fénelon (1651-1715), archevêque de Cambrai, prédicateur, théologien et pédagogue.
  12. Louis Bourdaloue (1632-1704), jésuite, prédicateur ordinaire du roi.
  13. Jean-Baptiste Massillon (1663-1742), oratorien, évêque de Clermont, prédicateur.
  14. Gustave-Xavier de La Croix de Ravignan (1795-1858), prédicateur jésuite.
  15. François Xavier Hun, curé à Vieux-Thann.
  16. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  17. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 25 mars 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_25_mars_1872&oldid=60304 (accédée le 15 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.