Lundi 23 février 1795, 5 ventôse an III
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens)
n°85
Paris le 5 Ventôse an troisième.
Maman,
Une lettre toute entière pour vous ! C’est un grand plaisir pour moi, pour me le procurer je profite d’un temps destiné au sommeil. Depuis le 21 du mois passé, nos écoles sont ouvertes, et le travail consécutif que m’occasionnent les leçons qui s’y donnent, absorbe tous les moments de loisir qu’il semblerait devoir me rester.
En général les élèves sont faibles, et ont fait peu d’études. La plupart s’étaient imaginé trouver un logement et la faveur des subsistances, moyennant les 1 200ll qui leur étaient accordés. Arrivé ici je me suis vu dans la dure nécessité de décamper ; il n’en n’est peut-être pas un qui puisse trouver une pension à moins de 2 400ll.
Par ma dernière, je vous ai annoncé que je serais nommé prosecteur, ma nomination sera probablement lue ce soir. J’ai reçu une lettre d’invitation de me rendre à l’assemblée générale des professeurs à sept heures du soir. Il est présumable que ma place sera de 2 000ll et le logement, si les élèves n’ont que 1 200ll ; mais s’ils avaient 2 400, ce qui pourrait très bien être, ainsi qu’ils en forment la demande, il est très présumable encore que le traitement des prosecteurs serait au-dessus de celui de leurs écoliers.
Savez-vous que tout amour propre à part, c’est un beau titre que celui que je viens d’obtenir pour un étudiant depuis le 1er 8bre 1792, surtout entrant en concurrence avec des élèves de 4, 5 et 6 ans. J’ai fait ici quelques connaissances de savants, dont malheureusement la nature de mes occupations ne me permettra pas de jouir autant que je le désirerais. Le citoyen d’Eu[1] de Boulogne sur Mer, m’a adressé au Citoyen Bosc d’Antic ancien administrateur des postes. Il m’a engagé à l’aller voir souvent. C’est un grand insectologiste auquel la partie d’encyclopédie qui le concerne a été confiée. Je dîne aujourd’hui avec mon professeur de Rouen, le Citoyen Laumonier et sa femme[2], chez son frère, le Directeur de l’école de santé, le citoyen Thouret. Je vous ai fait dans ma dernière le tableau de la pénurie de ma bourse. J’espère que vous ne me laisserez pas manquer. Je crois ne recevoir d’appointements qu’à la fin de ce mois-ci, et chaque jour demande au moins des 5ll.
Mon habit est encore en pièces ainsi que la culotte. Pour les réparer, j’ai besoin de fonds, pour la doublure des dos de manche, et de la culotte. Je suis toujours avec ma maigre ou plutôt grosse redingote et absolument sans culotte ; par bonheur une de celles d’Auguste[3] n’a pas trouvé ma cuisse trop grosse et me va... à ravir.
Vous m’en aurez peut-être voulu un peu de mon long silence. J’en souffrirai plus que vous, mais il pourra arriver que je perde comme cela la parole pour un certain temps si mes occupations continuent. C’est véritablement bien dommage car vous le savez j’aime beaucoup à babiller... surtout avec vous.
Mais il se fait très tard, j’ai écrit à Rouen une lettre qui m’a demandé beaucoup de temps. Il vient de s’y reformer la société d’émulation, on me mandait à cet égard des choses très honnêtes, auxquelles il m’a fallu répondre avec soin, persuadé d’avance que ma lettre serait lue.
Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir de mon oncle et de ma tante Duval[4]. Dites à Papa[5] que je l’embrasse, et conservez-moi votre amitié, et de peur que vous l’ignoriez Votre fils
Constant Duméril
Notes
Notice bibliographique
D’après le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 2ème volume, p. 2-4
Pour citer cette page
« Lundi 23 février 1795, 5 ventôse an III. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_23_f%C3%A9vrier_1795,_5_vent%C3%B4se_an_III&oldid=61153 (accédée le 22 décembre 2024).
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