Lundi 22 août 1870 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

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Paris

22 Août 70

Mon cher Charles,

Je t'ai écrit si longuement hier politique que je serai plus laconique aujourd'hui sur ce sujet, d'autant plus que les nouvelles importantes manquent. Pour toute affiche j'ai vu à la mairie un communiqué de M. Chevreau disant que depuis 2 jours le ministère n'a pas reçu de nouvelles de l'armée du Rhin ce qui fait penser que Bazaine n'a pas pu exécuter son plan de retraite. Mais les journaux invitent à la confiance en s'appuyant sur l'armée de Châlons...

Mais l'inquiétude est grande. Je viens de recevoir ta bonne lettre d'hier et celle d'oncle Georges[1]. Je vous remercie bien tous deux. Je suis si heureuse de recevoir des nouvelles de vous tous et notre chère Alsace. Ma pensée est si continuellement près de toi que c'est pour moi un vrai bonheur que de retrouver tes pensées, tes vues, tes inquiétudes même dans tes lettres puisque c'est le seul moyen de nous rapprocher.

Je partage bien ta manière de voir au sujet de notre pauvre pays. Il y a de l'héroïsme, mais la réflexion est personnelle et n'amène rien de bon pour le pays, chacun pense à soi...

J'admire maman[2], c'est encore elle la plus forte, et qui comprend le mieux les grands sacrifices que les peuvent être appelées à faire ; elle a été bien heureuse d'avoir son Julien[3], mais on s'attend à ce que la Garde Mobile soit de suite réexpédiée ailleurs ! où ? c'est là la question. A la grâce de Dieu.

Alphonse[4] et Alfred[5] sont comme toi ne vivant pas c'est le mot ; nous en sommes tous là. Je ne veux pas te redire que je regrette bien de n'avoir pas pris de suite le chemin de fer à mon retour de Bretagne avec les enfants[6] ; tu me traiterais de rabâcheuse et tu aurais raison. Attendons encore un peu, je crois qu'à Paris nous n'avons rien à craindre, mais hier soir je reparlais avec maman de Launay ; et nous deux maman nous ne nous sentons pas le courage d'y aller, nous croyons que nous y serions bien moins en sûreté qu'au Jardin des Plantes n'ayant pour tout homme que papa[7] et François[8]. Ce serait donc sur maman et moi que retomberait toute la responsabilité et en cas très probable de visite de bandes prussiennes venant chercher les vivres que ferons il n'y aurait que nous deux pour répondre et nous n'oserions pas laisser les enfants aller sur la butte. J'admets toujours l'hypothèse du siège de Paris. C'est dans cette prévision que je parle, sans cela Paris et Montmorency sont parfaits. A quoi Launay pourrait être bon ce serait pour une ambulance. Mais comment arranger cela ?

Je m'aperçois que je ne t'ai pas encore parlé de ma Marie, c'est bien bon signe, c'est qu'elle joue avec beaucoup d'animation avec Emilie, elle a bien mangé, bien dormi, (je l'avais prise dans mon lit pour voir si elle n'aurait pas un peu d'agitation), mais elle a été bien calme, elle est encore courbaturée, le nez est encore gonflé, mais pas le moindre mal de tête, ni autre suite de la chute, ainsi, sois bien tranquille, mon cher Charles. Elle Nous allons aller chez tante Aglaé[9], Marie y compris pour attendre Mme Duval[10] qui doit amener ses petites filles de 3 h à 5 h et les fillettes se réjouissent, elles joueront au Jardin.

As-tu reçu les Figaro que je t'envoie depuis quelques jours ?

Adieu, cher Ami, Les enfants t'embrassent bien fort, Marie me crie qu'elle ne finira sa lettre que demain puisqu'Hortense vient, Emilie dit qu'elle est une petite paresseuse qui aime bien à jouer et moi, mon bon Chéri, je t'embrasse de tout mon cœur en espérant que bientôt nous pourrons être ensemble.

Prions Dieu qu'il protège notre pauvre Pays !

toute à toi

Eugénie M

Bonnes amitiés à oncle et tante[11]

bons souvenirs à Mme Jaeglé[12].

Maman et Aglaé qui sont là me chargent de leurs bonnes amitiés pour toi. Papa est allé ce matin au ministère de la guerre pour avoir des nouvelles de M. Pavet[13] et de Raymond[14]. On ne sait rien encore.

Mme Pavet n'a pas été informée à Blois.

Sois content de toi, mon cher Charles, tu as déjà beaucoup fait pour ton pays et tu sauras encore lui être utile, sans prendre de fusil ; dans la même pensée que ce que tu disais de Julien, il est rentré au camp ce matin faire l'exercice. Il a pris un air dégagé qui lui va très bien, car avec cela il est toujours le même au moral. Que Dieu le garde.

Pour Léon[15] je suis bien contente qu'il reste encore.


Notes

  1. Georges Heuchel.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Julien Desnoyers.
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Alfred Desnoyers.
  6. Marie et Emilie Mertzdorff.
  7. Jules Desnoyers.
  8. François, domestique chez les Desnoyers.
  9. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  10. Bathilde Prévost, épouse d’Alphonse Duval et mère d’Hortense et Jeanne.
  11. Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.
  12. Marie Caroline Roth, épouse de Frédéric Eugène Jaeglé.
  13. Daniel Pavet de Courteille, époux de Louise Milne-Edwards.
  14. Raymond Duval.
  15. Léon Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 22 août 1870 (A). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_22_ao%C3%BBt_1870_(A)&oldid=51745 (accédée le 22 décembre 2024).

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