Lundi 19 et mardi 20 février 1872
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris)
Lundi 4h
Chère bonne Mère,
Notre silence mutuel prouve qu'il n'y a rien de remarquable de part et d'autre ; et nous devons en conclure que chacun est de son côté, à son devoir, et que les santés continuent à être bonnes. Il ne faut pas croire pour cela que nous ne pensons pas les uns aux autres, mais le défaut d'évènement rend paresseux à prendre la plume, et, en dehors des témoignages d'affection à se donner, en se répétant qu'on est à l'unisson de pensées et de regrets (et cela on le sait bien) réellement on ne trouve rien à se conter.
Mme Duméril[2] se plaignait de la même chose lorsqu'elle veut écrire à sa sœur[3] ; vous voyez que c'est un mal général à l'Alsace en ce moment.
Tu dois être allée à Montmorency pour voir à remettre les travaux en train, cela va être pour toi, bonne mère, une grande complication avec ton ménage de Paris, pourvu que tu ne sois pas trop fatiguée.
Nous recevons la Mode Illustrée, ainsi je vous remercie d'avoir payé l'abonnement, (c'est le journal de Cécile[4] !). Merci également pour la petite Géographie, elle est arrivée très rapidement, l'adresse était d'Alfred[5]. Les communications par la poste sont un des meilleurs moyens ; en Alsace la poste est un véritable roulage.
En envoyant mes quelques fleurs à Belfort j'étais si pressée (comme toujours), que j'ai oublié d'envoyer de vieux ponces à Aglaé[6] ainsi que deux mouchoirs que je lui ai emportés, ce sera pour une autre fois.
Oncle Georges[7] est encore au lit sans pouvoir bouger ; à la suite de son indisposition, il lui est survenu un accès de goutte qui lui tient bras et jambe, mais on n'est pas inquiet, seulement il lui faut faire carême complet.
Le temps est splendide, la violette fleurit partout, les poules pondent tant que je voudrais pouvoir vous envoyer des œufs frais ; le poulailler est une des grandes distractions du moment, les petites[8] occupées, à leur récréation, à faire rentrer Mmes les poulettes qui se sauvent de leur demeure (comme on prétend que de couper les ailes nuit à la ponte, tu comprends que Nanette[9] ne veut pas arriver à se servir d'armes tranchantes pour ses bonnes pourvoyeuses).
Marie et Emilie voudraient t'écrire, mais jusqu'ici tous leurs moments sont pris pas les devoirs du Cours[10] et elles n'arrivent pas trouver du temps de reste.
Demain aura lieu l'enterrement de Mme Scheurer Rott[11], la mère de Mme Auguste[12] et des jeunes gens qui s'occupent de géologie, elle était gravement malade depuis plusieurs mois d'hydropisie.
Mme Heuchel[13] te fait bien remercier pour le portrait de notre Julien[14] que je lui ai remis de ta part, elle veut aussi t'envoyer celui de Georges[15].
Figurez-vous qu'il y a eu encore des gens qui ont trouvé moyen de faire carnaval et de danser Mardi Gras[16], c'est honteux ! Les Prussiens se sont donné un grand bal à Mulhouse, cela leur convient ! à Colmar on dit que voilà le je ne sais combien de percepteur qui se sauve avec la caisse !.. mais je crois déjà vous avoir dit cela.
Charles[17] et Léon[18] ne sont pas revenus enthousiastes de leur visite dans les Vosges, mais pas mécontents non plus ; je pense que ces Messieurs viendront fin de cette semaine rendre la visite au Vieux-Thann.
J'ai rangé hier soir, après le départ des Duméril[19] (qui par parenthèse, m'ont chargé de bien des amitiés pour vous tous,) le bel album de photographie qu'Aglaé m'a donné. Emilie en a fait ensuite l'exhibition et en montrant une place vide elle s'écriait : « Ceci vous représente, MM., Mmes, bonne-Maman Desnoyers[20] ! » Tu comprends ce que cela veut dire, il faut que tu te décides à te faire faire et Aglaé aussi ?
Comment va notre bon père[21] ? embrasse-le bien pour moi ; dis-lui que son rocher fait très bon effet, le sable est arrangé devant le petit pont.
Adieu, chère bonne petite mère, je t'embrasse de tout cœur pour moi et pour les miens, fais-en autant à ton bon entourage.
Eugénie M.
Mardi 1h
Voici la seconde fois que Charles sort aujourd'hui pour assister à des enterrements, il m'en a dispensée les 2 fois, je reste avec mes deux chéries qui vont on ne peut mieux de corps et d'esprit depuis le voyage de Paris. Cela te fera plaisir, parce que cela prouve qu'une autre fois on pourra recommencer.
Les nouvelles de Mlle Anna Stoecklin sont mauvaises, c'est la pauvre mère[22] qui écrit elle-même que elle, dans la consultation qui vient d'avoir lieu, le médecin ne lui a pas laissé le moindre espoir.
M. Heuchel[23] souffre encore et se trouve faible, la diète ne lui va pas, et, cependant elle lui est nécessaire.
J'espère que vous avez ce même soleil à Paris, méfiez-vous de ses premiers rayons. Aglaé doit être occupée de sa souscription. Elle est toujours si active.
Au revoir, chère bonne Mère, je t'embrasse de tout cœur.
Eugénie M.
Bien des choses à tout ton monde. L'évènement du jour c'est la... pépie aux poules l'opération est faite !...
Notes
- ↑ Cette lettre non datée est à situer le lundi qui suit le décès de Sophie Antoinette Rott, épouse d'Auguste Scheurer, le 18 février 1872 à Bitschwiller-lès-Thann.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
- ↑ Cécile, la bonne des enfants, plutôt que la belle-sœur Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
- ↑ Le cours par correspondance des dames Boblet.
- ↑ Sophie Antoinette Rott, veuve d’Auguste Scheurer, mère de 9 enfants.
- ↑ Berthe Scheurer, épouse d’Auguste Lauth.
- ↑ Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
- ↑ Julien Desnoyers (†).
- ↑ Georges Léon Heuchel (†).
- ↑ Mardi gras en 1872 : le 13 février.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Elisa Heuchel, épouse de Jean Stoecklin.
- ↑ Georges Heuchel.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 19 et mardi 20 février 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_19_et_mardi_20_f%C3%A9vrier_1872&oldid=51789 (accédée le 21 novembre 2024).
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