Lundi 18 et jeudi 21 janvier 1864

De Une correspondance familiale


Lettre de Félicité Duméril (Morschwiller) à Eugénie Desnoyers, future épouse de son gendre veuf (Paris)


Lundi 18 Janvier 1864

Hier, ma bien chère enfant, j'ai eu le plaisir d'aller à Vieux Thann, mon mari[1] ayant été retenu ici par la présence d'ouvriers à la fabrique, je suis partie avec Léon[2] à huit heures et suis revenue ici par le train de cinq heures, mais ces quelques moments passés avec notre bon Charles[3] et nos chères petites passent comme un éclair, il me semble toujours que je ne les ai pas assez vus ni assez profité de la visite que je leur faisais. Nos chères petites vont bien mais elles sont pâles depuis leur indisposition. Il faudrait le beau temps qui leur permît de sortir : toutes deux sont si gentilles, si affectueuses. Miky s'étant élancée sur mes genoux me dit tout bas à l'oreille : tu ne sais pas, lorsque j'irai à Paris, je coucherai dans la chambre de petite marraine[4], je serai toujours avec elle, nous ne nous quitterons pas un instant. Tu le vois, il semble vraiment qu'une inspiration lui fait comprendre tout ce que tu es pour elle, c'est à dire la tendre mère qui est au Ciel[5].

(Jeudi soir) Je viens te retrouver ma bien chère enfant pour continuer ma petite conversation avec toi, ma lettre commencée le Lundi n'a pas pu être continuée ce jour-là, puis j'avais un peu l'espoir avant de reprendre la plume de recevoir des nouvelles soit de toi, soit de ma sœur[6] mais je sais par expérience qu'à cette époque de l'année, on ne fait pas tout ce qu'on voudrait surtout à Paris où mille obligations surviennent tout à coup. Je voudrais tant savoir comment va ta bonne mère[7], j'ai su par Charles qu'elle doit rester dans sa chambre par prudence, je viens de mon côté lui faire de vives recommandations de se bien soigner pendant cette vilaine saison de l'hiver, ce que je dis à ta bonne mère, je l'ai écrit aussi à Madame Fröhlich[8] qui a été prise d'un rhume opiniâtre et forcée par ordonnance du médecin à rester au lit une partie de la journée. Avec une température meilleure toutes ces indispositions disparaîtront, mais en attendant il faut savoir se soigner. Notre bon Charles est bien désireux d'aller te voir et de se retrouver dans cette bonne maison amie du No 57[9]. S'il n'est pas parti plus tôt c'est que tu l'as engagé à ne pas voyager par ce temps si froid ; puis tu sens si bien, ma chère enfant, combien sa présence auprès des chères petites donne de tranquillité à chacun. Notre bonne Cécile[10] dont je ne puis assez parler partage bien ce que j'éprouve de tranquillité quand le bon père est là.

Ah ! Quand arrivera le moment où sera auprès de toi le précieux dépôt qui est à Vieux Thann[11], je sens qu'alors je respirerai librement et joindrai les mains pour remercier Dieu. Je répète là, je le sais, ce que je t'ai dit cent fois, mais tu excuseras la pauvre Méhil d'avoir toujours la même pensée. Dieu sait combien je suis attachée à ces charmantes et si intéressantes petites créatures qui retrouvent en toi l'effusion et les caresses de la tendre mère. Je voudrais bien les accompagner et les remettre moi-même conjointement avec leur bon père, entre tes mains, je n'en ai pas encore parlé, crois-tu que sans indiscrétion, je puisse le demander à Charles ? Aujourd'hui le temps a tout à fait changé, la température paraîtrait être presque celle du printemps après ces grands froids que nous venons de subir. Je n'ai pas besoin de te dire que nous avons mis bien de l'intérêt à la nouvelle du beau succès de M. Buffet[12] dans les Vosges. Adieu ma bien chère enfant, nous allons bien et t'embrassons autant que nous t'aimons. J'embrasse ta bonne mère et me rappelle au souvenir de chacun. Mille tendres amitiés à ma chère Aglaé[13]

F. Duméril

A l'instant on me remet ta bonne lettre dont je te remercie mille et mille fois. Tranquillise-toi sur ma chute, j'en ai beaucoup souffert mais je suis bien mieux à présent.

Je ne puis assez te dire, ma bien chère enfant, combien nous avons joui en lisant ton excellente lettre qui peint si parfaitement ton caractère. Les chères petites vont bien mais sont toujours un peu pâles depuis leur indisposition


Notes

  1. Louis Daniel Constant Duméril, qui s’occupe de l’usine de Morschwiller. Charles Mertzdorff et ses filles vivent à Vieux Thann.
  2. Léon Duméril, fils de Félicité et de Louis Daniel Constant.
  3. Charles Mertzdorff, veuf de Caroline Duméril et père de Marie (Miky) et Emilie.
  4. Eugénie Desnoyers, la destinataire de la lettre ; elle se prépare à épouser Charles Mertzdorff.
  5. Caroline Duméril, décédée, fille de Félicité.
  6. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
  7. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  8. Eléonore Vasseur épouse d’André Fröhlich.
  9. Les Desnoyers habitent 57 rue Cuvier à Paris.
  10. Cécile, domestique chez les Mertzdorff, attachée au service des fillettes.
  11. Marie et Emilie Mertzdorff.
  12. Louis Joseph Buffet, apparenté aux Desnoyers, est élu député des Vosges le 17 janvier.
  13. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et sœur d’Eugénie.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Lundi 18 et jeudi 21 janvier 1864. Lettre de Félicité Duméril (Morschwiller) à Eugénie Desnoyers, future épouse de son gendre veuf (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_18_et_jeudi_21_janvier_1864&oldid=40307 (accédée le 8 octobre 2024).

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