Lundi 11 janvier 1864

De Une correspondance familiale

Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Morschwiller) à Eugénie Desnoyers, future épouse de son gendre veuf (Paris)

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Morschwiller 11 Janvier 1864

Ma chère Eugénie

Je voudrais bien vous exprimer aussi les sentiments que votre récente décision[1] a fait naître dans mon cœur, mais je vous avoue que je suis embarrassé pour le faire car je ne sais pas bien comment les définir.

C'est principalement de la reconnaissance que j'éprouve envers vous parce que vous vous dévouez à nos chères petites-filles[2] que nous chérissons tant & auprès desquelles vous allez remplacer la mère qui leur était si nécessaire, parce que vous allez ramener la paix & la sérénité dans l'esprit de notre cher Charles & la joie dans ce cœur si aimant qui a besoin d'affection & qui, réservé au dehors, veut s'épancher dans l'intimité. Auprès de vous son bonheur passé sera un doux souvenir dont il pourra s'entretenir sans porter atteinte à son bonheur nouveau. Nous aimons ce cher Charles comme notre fils & nous partageons ses joies comme ses peines.

Nous sentons déjà notre amitié pour vous se changer en tendresse & nous croyons que pour votre bonheur aussi vous avez pris une heureuse résolution. Sans doute vous rencontrerez aussi des nuages, mais où n'y en a-t-il pas sur cette terre & comment se plaindre quand on se sent tendrement & délicatement aimée par un homme d'un esprit si distingué, d'un cœur si pur & quand la conscience vous dit que vous remplissez une noble tâche que vous avez librement acceptée.

Un côté de votre nouvelle position que vous saurez bien apprécier aussi, c'est de pouvoir faire tant de bien & exercer une si heureuse influence dans un pays où vous occuperez le premier rang. Que de bien on peut faire par l'exemple, par les conseils, par l'intérêt qu'on porte aux malheureux ; en exerçant cette douce influence autour de vous & en faisant le bien avec discernement vous serez sûre, non seulement d'entrer dans les vues de votre mari, mais encore de prendre chaque jour une place plus grande dans son cœur.

Quel changement vous allez apporter dans cette maison si triste aujourd'hui. Avec vous la vie va y rentrer : vous remplacerez, sans la faire oublier, celle qui en faisait la joie & vous viendrez pour ainsi dire, continuer sa tâche sous son regard & avec son approbation & sa reconnaissance.

Pour ma femme & moi quelle jouissance aussi de vous sentir auprès de nos petites chéries, quelle tranquillité pour nous : quelle consolation de penser qu'elles seront élevées comme elles l'auraient été par leur première mère.

Au milieu de toutes ces satisfactions, nous éprouvons un regret pourtant, regret bien sincère & bien senti, c'est de penser que vos chers parents[3], qui s'étaient bercés de l'espoir de vous garder près d'eux, vont être privés de votre douce société. Vous allez laisser un vide immense, tant auprès d'eux, qu'auprès de votre chère sœur[4] à laquelle vous lie une si tendre amitié. Dieu a permis heureusement qu'elle se fixât si près d'eux.

Acceptez donc, ma chère Eugénie, l'assurance de ma tendre gratitude : faites agréer à vos chers parents l'expression de ma respectueuse amitié & comptez toujours sur la vive affection de votre dévoué

C. Duméril

Nous venons de recevoir une lettre de Mme Fröhlich[5] ; ils sont tous enrhumés à l'exception de son mari mais elle a été fortement prise & obligée de garder le lit une partie de la journée.


Notes

  1. .Eugénie vient d’accepter d’épouser Charles Mertzdorff, marié en premières noces à Caroline Duméril (décédée).
  2. Marie et Emilie Mertzdorff (5 et 3 ans), filles de Caroline Duméril et de Charles Mertzdorff, petites-filles de Louis Daniel Constant et Félicité Duméril.
  3. Jeanne Target et son époux Jules Desnoyers.
  4. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. Eléonore Vasseur, épouse d’André Fröhlich.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Lundi 11 janvier 1864. Lettre de Louis Daniel Constant Duméril (Morschwiller) à Eugénie Desnoyers, future épouse de son gendre veuf (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_11_janvier_1864&oldid=40217 (accédée le 7 octobre 2024).

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