Juillet 1795, an III

De Une correspondance familiale



Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens)



N° 89

Maman

Je ne Répondrai pas à votre dernière : je suis dans un tel Désordre que je passerais beaucoup de temps pour la chercher ; d’ailleurs, je crois y avoir Répondu ou cela m’étonnerait beaucoup. Monsieur Biston a Remis à Auguste[1] la somme que vous l’aviez chargé de nous Remettre : je vous Remercie, pour ma Part, du service que vous me Rendez. Son Résultat eût été plus heureux si nous eussions pu le Recevoir plus tôt. Cependant j’aurai de quoi acheter un lit. J’ai déjà fait l’emplette de deux matelas & une paillasse. Aujourd’hui, je me procurerai une couverture, un traversin, et un Bois de lit. nous comptons toujours sur vous pour des draps, jusqu’à ce que nous les ayons reçus nous serons obligés de continuer de coucher deux dans un lit très étroit, et il fait bien chaud ! hier la Blanchisseuse a voulu nous augmenter de 10 s par chemise, et le Reste en Proportion. L’argent est monté ici à un Prix excessif. L’écu de six francs s’est vendu jusqu’à 180ll. Voyez à quoi on en serait si tous les marchands tenaient leurs marchandises sur ce pied-là. Depuis le Retour de mes frères je n’ai pas mangé une seule fois chez le Restaurateur : nous vivons, nous deux, Auguste, de Beurre, de fromage, & de cerises. cependant nous ne nous en portons pas plus mal. Nous < > de patience jusques au bout. Nous ignorons à qui nous sommes Redevables du Dernier Pain que nous avons Reçu et nous n’avons pas Remercié les Donateurs. Nous sommes au dernier aujourd’hui, faites tout ce qui sera en vous pour nous en laisser manquer le moins longtemps possible. il nous en coûterait horriblement cher, car ce que nous recevons de la section ne suffit pas pour nourrir l’un de nous pendant un jour, que serait-ce s’il nous fallait l’acheter à 15ll la livre.

j’ai reçu de mon Cousin Dumont[2] 50ll, il me mande que vous lui avez écrit de me les faire passer. Mandez-moi ce que signifie ce nommément, est-ce dans l’intention de m’en faire le propriétaire ? dans ce cas recevez-en d’avance mon Remerciement. Vous voudrez bien aussi m’apprendre si l’argent que ma sœur[3] a déboursé pour nous procurer du pain lui est encore dû, nous lui ferions passer de suite les 100ll que nous lui devons dans le cas contraire.

Auguste a Repris son maître de mathématiques. il travaille avec ardeur. je suis persuadé qu’il en profitera. Puissions-nous vous rendre, par un peu de satisfaction, les privations momentanées que nous vous faisons éprouver. Quant à moi, je ne perds pas mon temps, et j’espère avoir toujours à me louer d’être venu à Paris. Quoiqu’il y ait pour moi la même différence dans la manière de vivre ici, qu’il y en avait à Rouen, de celle d’Amiens. Je suis heureux d’en être venu là par Degré. il m’en à moins coûté, et le bon temps Reviendrait que je <mènerais> encore la même vie, puisque je ne m’en trouve pas absolument mal. Mais pour cela il nous faut du pain.

La Convention vient de Décréter la suppression d’un tiers de tous les employés des Agences & commissions. Il n’y a Rien à craindre pour Auguste, monsieur Biston lui en a même parlé, il paraît qu’on exclura tous les jeunes gens au-dessous de vingt et un ans, et il n’est pas de ce nombre. Je suis dans le même état vis-à-vis des Professeurs, ils me témoignent de l’intérêt & même de l’amitié. Le chirurgien qu’on avait nommé à la place de Desault paraît opter celle de professeur de clinique externe qu’on n’a pas voulu lui laisser tenir comme à son Prédécesseur. De cette manière le Citoyen Laumonier pourrait très bien venir ici, mais cela ne sera décidé que dans une quinzaine. Le Citoyen Thouret son Beau-frère, qui est Directeur de l’école, me fait toujours amitié. J’ai soupé chez lui il y a cinq ou six jours.

On ne dit absolument rien de nouveau aujourd’hui. je ne vous en apprendrai pas davantage en vous disant que je vous aime, & vous embrasse tendrement.

Votre fils,

Constant  Duméril


Notes

  1. Auguste Duméril (l’aîné), frère d’André Marie Constant Duméril, vit avec lui à Paris.
  2. Probablement André Dumont.
  3. Reine Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 2ème volume, p. 9-12)

Pour citer cette page

« Juillet 1795, an III. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Juillet_1795,_an_III&oldid=54817 (accédée le 21 novembre 2024).

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