Jeudi 6 et vendredi 7 octobre 1864

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

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VieuxThann

Jeudi 6 Octobre 64

4 h

Ma chère petite Gla,

Je prends la plume avec l'intention d'écrire à Bathilde[1], à maman[2], et je ne sais pas comment cela se fait c'est à toi que je m'adresse ; c'est qu'à toi on a toujours quelque chose à dire. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes vues, et nous aurions tant de choses à nous conter, car tout nous intéresse mutuellement. Il est bien possible que nous allions en Novembre à la capitale, sans qu'il y ait rien de décidé. Charles[3] en parle comme d'une chose possible. Je n'ose y croire. En tout cas ça ne remplacerait pas une visite de toi et d'Alphonse[4] ici, il n'y a plus que vous qui ne soyez pas venus ; et un séjour de toi dans ma maison est nécessaire pour que nous puissions continuer une correspondance intime et parler des petits riens qui constituent la vie d'une maîtresse de maison, si riens peuvent s'appeler des ennuis de cuisinière, des petites réclamations par ci ou par là, enfin le désir de bien faire et la crainte de ne pas arriver à son but. Oh que je serais contente de t'avoir ici, tu serais à notre étage, la chambre neuve est toute prête, tu serais près des enfants[5] et cependant la bibliothèque empêcherait Alphonse d'entendre le bruit s'il désirait travailler… Quel doux rêve ! Puis-je m'y arrêter. C'est toujours le refrain de Charles : « C'est Aglaé que je voudrais voir ici ». Il sait quel serait notre plaisir à toutes deux.

Nous rentrons de la vigne avec les enfants, les petites amies[6] y étaient aussi ; tout est rôti dans le jardin, 5 degrés de froid le matin mais très beau, et à Paris ?

Samedi nous aurons Mme Dollfus[7] avec ses enfants ; elle est à Mulhouse et je lui ai écrit pour la prier de venir dîner avec nous.

Élise Mertzdorff (Mme Bonnard) a un petit garçon[8] de Dimanche, elle va bien et on est enchanté que ce soit un fils quoique Mme Mertzdorff[9], ma belle-mère, ait dit que puisqu'il ne porte pas le nom de Mertzdorff, ça n'a aucune importance, et de là l'oncle[10] de dire que cela s'adresse à moi… Moi de rougir, en gardant le silence, c'est toujours ennuyeux.

J'oublie de te parler de ma santé ; il me semble que ça va tout à fait bien, j'ai repris à peu près ma vie habituelle. Cécile[11] va s'absenter 3 jours pour aller baptiser un petit neveu né d'hier, pendant ce temps, je vais avoir les 2 enfants dans ma chambre, jusqu'à présent j'avais repris seulement Fournichon parce que la coquine de Mimi se réveille quelquefois la nuit et Charles trouvait que ça me fatiguait de me lever en sursaut.

Vendredi matin

Rien de neuf à te conter. J'ai bien dormi, il a gelé blanc, Cécile est partie, j'ai écrit à maman et à Bathilde, je vais garder les enfants, c'est là ma plus douce occupation. Ici je suis gâtée, entourée d'affection et tu sais c'est un plat qui est tellement ma vie, que si il venait à me manquer je ne sais pas ce que je deviendrais ; mais quant au reste ma vie est très monotone, toujours la même chose, et même pas pour m'occuper l'esprit, de ces choses, comme nous sommes habituées par nos savants[12] à en entendre, on cause peu, quelquefois ça me manque. Mais j'ai là mes petites filles et je suis toute à elles. Toi tu t'occupes toujours avec Alphonse, fais ce petit sacrifice, va, c'est le mieux. Mimi n'en revenait pas que tante Aglaé raccommode des petites bêtes[13]. Il faudra que nous causions toilette, quoique ce soit un sujet peu intéressant. En toute conscience je puis dire que je n'ai pas fait de progrès en coquetterie, Alphonse peut être tranquille, je ne serai pas de ce côté, une mauvaise connaissance pour toi. Mais cependant il faut s'en occuper. Ma belle-mère voudrait toujours me voir en toilette avec quelque chose que les autres n'aient pas ; mais moi j'aime le simple, des choses peu voyantes et dans un pays où on se trouve les premiers il faut donner l'exemple. Les filles, les ouvrières sont portées tout naturellement à vous imiter, aussi tant que mes affaires sont propres, j'aime mieux ne pas changer. Nous rarangeons ma robe violette, en la retournant et en lui mettant des nœuds noirs devant. J'ai acheté une robe de flanelle à petits carreaux bleus et noirs que nous allons faire en robe de chambre, plus tard il me faudra une robe bien pour remplacer ma violette que je te chargerai de m'acheter et de faire faire. nous reparlerons de cela, donne-moi tes idées. Comme pour mes chapeaux, il me faudra un chapeau pour toujours aller à la messe, me promener avec les enfants, un noir ne serait-ce pas le mieux ? Et mon velours bleu ne pourrait-il pas refaire l'habillé ? Je ne sais pas avec quelle robe je le mettrais. Pense à cela et écris-moi. Tu ne me dis rien de vos relations, de Mlle Baudement. Quand le mariage ? Ecris-moi. Tu sais le plaisir que font les lettres.

Adieu ma Chérie, le papa, la maman et les mioches[14] embrassent petite tante Aglaé et l'oncle Alphonse.

Ta meilleure amie

Eugénie M.

J'embrasse mon Julien[15].

Mimi à chaque courrier demande sa lettre.

Mes amitiés à notre bonne Pauline[16] et aux <siens>

Je t’enverrai des poires la semaine prochaine ainsi qu’à maman


Notes

  1. Bathilde Prévost, épouse d’Alphonse Duval, cousine.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie Desnoyers.
  4. Alphonse Milne-Edwards, époux d’Aglaé Desnoyers.
  5. Marie (Mimi) et Émilie (Founichon) Mertzdorff, filles du premier mariage de Charles.
  6. Marie et Hélène Berger.
  7. Noémie Martin, veuve de Frédéric Dollfus.
  8. Élisabeth Mertzdorff, épouse d’Eugène Bonnard, vient d’accoucher de son premier enfant, Charles.
  9. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff.
  10. Georges Heuchel, oncle de Charles Mertzdorff.
  11. Cécile Besançon, bonne des fillettes Mertzdorff.
  12. Allusion en particulier au père d’Eugénie et Aglaé, Jules Desnoyers, et à son entourage.
  13. Alphonse Milne-Edwards, l’époux d’Aglaé, est zoologiste.
  14. Charles, Eugénie, Marie (Mimi) et Emilie Mertzdorff.
  15. Julien Desnoyers, jeune frère d’Eugénie et Aglaé.
  16. Pauline, domestique chez les Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 6 et vendredi 7 octobre 1864. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_6_et_vendredi_7_octobre_1864&oldid=62143 (accédée le 14 décembre 2024).

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