Jeudi 4 août 1870

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1870-08-04 pages1-4.jpg original de la lettre 1870-08-04 pages2-3.jpg


Paramé

4 Août 1870

Quand on n'a plus son mari, va de soi qu'on a le temps long, qu'on s'ennuie et que le sommeil doit fuir les paupières. Aussi ce matin dès 5 h j'étais si bien réveillée (après avoir bien dormi et mes fillettes[1] aussi, rassure-toi mon Ami aimé), que je me jette à bas de mon lit, m'habille et que faire de mieux jusqu'à ce que notre petit monde sorte des bras de Morphée que d'aller à l'église prier pour tant d'être aimés, les uns qui sont loin de moi, et les autres qui, faibles encore ont besoin de la protection de Dieu. Après la messe de 6 h j'avais encore le temps de raccommoder les chaussures décousues jusqu'à ce que les petites voix se fissent en entendre en me disant : « bonjour mère chérie, où est ce bon père maintenant ? » Et moi de leur répondre que déjà le cher bon père a pris la route de Mulhouse et de les embrasser pour toi et pour moi.

Tu dois être bien fatigué, car avec les chants qui accompagnent les transports des mobiles et des soldats tu n'as pas dû fermer l'œil de le nuit. Tu avais si chaud en montant en wagon que je crains que tu n'aies pris froid. Nous avions tous le cœur gros en te voyant partir, nous sommes restés dans la cour à te guetter, sans pouvoir te distinguer dans ton compartiment, et nous avons tâché de prendre courage dans la pensée que bientôt tu reviendrais nous trouver. Je sais bien que l'envie de ne te manque pas, mais les évènements le permettront-ils ? Et quelle fatigue pour toi que tous ces voyages si rapprochés.

La course un peu précipitée avait plus ou moins fatigué la bande aussi avons-nous profité de l'omnibus pour rentrer à St Malo, là quelques petits achats de carton bristol &. Au retour grand appétit ; la nuit bon sommeil ; après déjeuner 2 heures sur la plage, les enfants jouent, nous lisons le Journal, les nouvelles en en vaillent la peine, hier soir la prise de Sarrebruck[2] avait été affichée à la mairie de Paramé et Cécile[3] avait eu la complaisance de monter voir ce que disait la dépêche. Voilà donc nos armées entrées en guerre ; la première lutte a été à notre avantage cela est bon à cause de l'impression morale sur nos troupes. Mais que familles déjà dans le deuil ?

Je vais te suivre dans tes préparatifs d'ambulance, et dans toutes tes occupations. Dieu fasse que les premières ne soient pas utiles.

Aujourd'hui lettre de Maman[4], elle ne parle pas de sa santé et dis que Lundi matin je trouverai la maison ouverte, qu'elle est très contente de me voir revenir et qu'elle ne nous cède pas à Aglaé[5]. Elle écrit de Montmorency. Je pense que tu auras vu Alfred[6] au chemin de fer de Strasbourg c'était son intention de t'aller trouver ce matin à 7 h.

Une lettre Julien[7] nous dit également qu'il va bien, qu'il a eu le bonheur de trouver M. Pavet[8] qui est des plus aimables avec lui, le faisant dîner 2 fois avec lui à la table des officiers, et même coucher dans sa tente dans un lit à draps ! On allait redonner de la paille fraîche ; et « malgré quelques corvées et courses assez longues je suis en très bon état ». Voilà les dernières nouvelles de notre jeune mobile au camp de Châlons

Mardi 5 h 1/2.

Tu vois que voici de bonnes nouvelles, la présence de M. Pavet est bien heureuse, car lui aussi voudrait le faire sortir de la société des chiffonniers de la rue Mouffetard.

Alfred doit tâcher d'aller Dimanche au camp de Châlons, Alphonse[9] dit vouloir l'accompagner.

Pour notre petite colonie rien de nouveau, le bain est pris, la mer bat son plein, le temps est gris, de petites barques à l'horizon... et dans mon cœur une grande dose de tendresse pour toi, mon cher Charles c'est à dire tout pour toi. Nos fillettes vont très bien. Le chef de gare de St Malo nous a dit que nous avions droit à un wagon et que nous n'avions qu'à le demander à Rennes. Nous userons de notre droit.

J'espère que tu as trouvé oncle Georges et tante[10] en bonne santé, fais-leur bien mes amitiés. Je pense bien à vous tous, à la maison et à tout ce qui vous occupe, je voudrais pouvoir prendre ma part de vos occupations.

Les élections municipales paraissent bien peu de choses en ce moment à côté des grands évènements. Encore de bonnes amitiés

ta Nie


Notes

  1. Marie et Emilie Mertzdorff.
  2. Saarbrücken en allemand.
  3. Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
  4. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Alfred Desnoyers.
  7. Julien Desnoyers.
  8. Daniel Pavet de Courteille.
  9. Alphonse Milne-Edwards.
  10. Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 4 août 1870. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_4_ao%C3%BBt_1870&oldid=51658 (accédée le 23 avril 2024).

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