Jeudi 28 mars 1878
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris, 28 Mars 78.
Pauvre Père chéri ! pendant que nous[1] étions dans nos bons lits bien chauds, toi, tu gelais dans ton wagon ! Nous sommes désolées de ne pas t’avoir fait prendre plus de couvertures ou bien le sac de fourrure ; pourvu que ton mal de gorge n’ait pas augmenté car tu sais, quoi que tu en dises, tu étais un peu enroué Mardi soir. Nous avons été bien heureuses ce matin en recevant ton petit mot on est toujours impatient d’avoir des nouvelles des voyageurs. Rien de bien extraordinaire ne s’est passé depuis ton départ. Après t’avoir reconduit nous sommes rentrées au salon et nous y avons fait de la tapisserie en silence ; Mme Trézel[2] nous a sans doute trouvées bien peu aimables mais nos pensées étaient plus à la gare de Strasbourg qu’avec elle. Heureusement que nous avons déjà l’espérance devant nous, cette seconde partie du carême passera vite puis Pâques arrivera et les fêtes nous amèneront notre cher Papa. C’est pour nous faire faire pénitence que tu es parti.
Hier nous avons eu une très singulière journée. Aussitôt après le déjeuner nous nous sommes habillées et nous sommes parties avec tante[3] par l’omnibus pour le boulevard des Italiens. Nous arrivons chez le photographe[4] bien exactement à 11h1/2 ; nous voyons d’abord une dame qui est en pourparlers avec des anglaises et qui nous prie d’attendre un moment dans le salon. Le moment se prolonge beaucoup enfin le jeune homme que nous avions vu avec toi arrive tante qui trouve que tout est encore un peu en l’air dit qu’elle va s’en aller et qu’elle reviendra un autre jour mais il nous assure que son atelier est absolument prêt et qu’il n’a plus que pour 10 minutes de travail pour arranger son appareil ; comme nous avions déjà attendu tante se résigne à patienter encore. Longtemps longtemps après il revient d’un air empressé et nous fait monter dans son atelier où rien encore n’est arrangé, il y a des ouvriers partout et l’infortuné photographe cherche en vain ses affaires qu’il ne trouve pas. Tante de nouveau, cette fois très mécontente, dit qu’elle va s’en aller mais il la supplie tant qu’enfin nous restons il nous pose et nous assure que nous serons très bien mais comme nous n’avions qu’une confiance très modérée tante n’a pas voulu faire faire les grands portraits. Il était une heure et demie en sortant, par conséquent, trop tard pour aller chez M. Flandrin[5], alors tante comme nous étions habillées tante nous a immédiatement conduites à côté rue de Gramont chez Truchelut[6] qui a fait nos amies Berger[7]. Là nous avons attendu encore puis enfin on nous a pho refaites en grand et en petit et je crois que nous serons bien. Quant à l’autre il nous a dit que si nous n’étions pas satisfaites nous ne serions pas obligées d’accepter les épreuves ; il a fini aussi en partant par nous avouer que la maison venait de changer de propriétaire depuis le 1er Mars et que lui était tout nouveau dans l’affaire. Il aurait mieux fait de nous le dire plus tôt mais, qui sait, peut-être nous enverra-t-il des merveilles ?
Nous ne sommes rentrées qu’à 4h1/2 juste à temps pour prendre notre leçon d’allemand[8]. Nous avons été ensuite dîner chez Mme Brouardel[9] où nous nous sommes assez amusées.
Nous venons de déjeuner mais comme oncle[10] avait des examens et qu’il n’est arrivé qu’à 10h j’ai recommencé à manger avec lui de sorte que je ne suis remontée que fort tard. Nous allons bientôt partir à Saint-Eustache que nous devons visiter avec Mlle Magdelaine puis nous irons au cours. Mon devoir de littérature que je devrais remettre est à peine commencé !
Il fait un temps affreux la pluie tombe à flots.
Adieu mon bien-aimé Père, je t’embrasse de tout mon cœur.
Deine Faulenzer[11], Marie
Il vaut mieux dire ces choses-là dans une langue que tout le monde ne comprend pas.
Notes
- ↑ Marie et sa sœur Emilie Mertzdorff.
- ↑ Auguste Maxence Lemire veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Ce photographe est possiblement André Adolphe Eugène Disdéri (1819-1889) ou son successeur puisque le célèbre photographe cède son atelier 8 Boulevard des Italiens en 1878.
- ↑ Paul Flandrin donne des cours de dessin.
- ↑ Jean Nicolas Truchelut.
- ↑ Marie et Hélène Berger.
- ↑ Leçon d’allemand avec Mme Lima.
- ↑ Élisabeth Coudray, veuve de Pierre Brouardel.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Deine Faulenzer signifie « ta paresseuse ».
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 28 mars 1878. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_28_mars_1878&oldid=40040 (accédée le 15 novembre 2024).
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