Jeudi 27 octobre 1859
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à sa sœur Aglaé (Paris), avec un ajout de leur mère Jeanne Target
27 8bre 59 9 h
Que tu es gentille, ma chère petite Gla, de m'avoir adressé trois aimables petites causeries, pour la peine j'ai envie de t'étouffer sous mes caresses ; ce serait une manière un peu trop expressive de te <montrer> tout le plaisir qu'elles m'ont fait, mais du moins tu serais sûre que ces petits chiffons de papier ont bien rempli leur message et que mère[1] et sœur ont été bien heureuses de l'amitié que leur témoigne la chère petite Gla.
Honneur à toi, fille dévouée – économe <et> prudente ! – je t'admire (après réflexion) mais d'abord j'ai été trop désappointée de ne pas te voir apparaître pour te payer mon juste tribut d'éloges ; maintenant, je reconnais que tu as eu bien raison de rester. Ce bon père[2], c'eût été cruel de le laisser seul, et tu lui es une compagnie très agréable. Quant aux deux autres motifs quoique bien inférieurs à celui-ci ils sont à respecter. Ainsi tout est pour le mieux sauf notre séparation ; la semaine prochaine j'accompagnerai papa et Julien[3] et ne reviendrai plus à Montmorency. On va s'arranger pour partir tout à fait à la fin de la 1re semaine de novembre ; à cette époque-ci les voyages deviennent trop fatigants et puis on ne peut pas vivre ainsi séparée pour son plaisir.
Mon journal est bien simple : ménage, et fabrication des petites robes. Jusqu'au Lundi midi tu es au courant, papa t'a dit notre vie active ; après j'ai continué à ranger (avec maman) la tour ; que papa soit tranquille personne autre n'y est entré là. Le plâtre qui entourait la tortue est scié régulièrement et la susdite carapace se présente admirablement comme encadrée. François[4] a travaillé à force ; les fuchsias sont tous rempotés ; les fougères aussi. Il pleut et notre grand jardinier va s'occuper aujourd'hui à placer les gradins de ses serres et ensuite il continuera dans la même voie, c'est donc Pauline[5] qui retournera à Paris comme tu le verras. Le portrait que tu me fais de nos soirées est fidèle, exacte vérité, j'offre en effet de lire, mais on me refuse. (Je suis enrhumée comme notre Julien). Nous nous tenons dans la chambre de maman ; jusqu’à hier en votre honneur nous avons fait salon, notre dîner a été plus soigné, une crème au chocolat faite de mes mains blanches, un poulet etc. vous attendaient. et puis vous ne venez pas, oh ! désappointement.
La lessive est sèche, à force de tourmenter le linge nous avons obtenu un bon résultat et maintenant tout est prêt à repasser : mes 3 robes sont finies, j'ai commencé celle pour la petite fille qui rit toujours, je suis en train de raccommoder une camisole que je comptais emporter ce soir à Paris et ces jours-ci jusqu'au déjeuner je me suis occupée du ménage. Maman comme toujours se multiplie et fait l'admiration de Mme Clavery[6]. A propos cette dernière est comme toujours, ni amusante ni ennuyeuse ; hier soir, Paul et elle m'ont fait passer un véritable examen sur le sujet lecture, ça t'aurait bien agacée. Nous ne savons quel livre prendre, nous avons fini les comédies.
M. Harduin est venu Mardi (il a dit avoir oublié ce qu'il a envoyé <ce mois> au Jardin) il est donc venu annoncer le mariage de sa fille avec M. D’Arleux[7] le petit brun que désirait Madame ; la cérémonie est fixée au 7 à St Paul. Il a parlé avec enthousiasme de sa femme qui de son lit dirige tout, achète tout, pense à tout, fait marcher tout, tous et toutes... et si bonne, bonne !! Il y a des voitures de cadeaux, une corbeille superbe que Mme a seule choisie, des toilettes qu'elle seule a organisées. L'ennui c'est qu'il faut que nous nous arrangions un chapeau d'ici-là ! penses-y un peu, il faudrait que ce fût notre chapeau de toujours que nous arrangerions un peu mieux, nous y gagnerions au moins quelque chose !..
M. Laurent est venu ce matin, je t'écris de la chambre de Julien entre un bon feu et le petit frère qui fait son thème. Je pense bien à toi, tu vas t'ennuyer un peu, mais papa rentrera, sans doute, plus tôt de la bibliothèque[8] et Julien arrivera de bonne heure. C'est ton apprentissage, tu peux te croire à la tête de ton ménage, il ne manque que le m… c'est peu de chose !
Tu me manques beaucoup et c'est le soir, en causant avec maman, que je trouve mon meilleur moment. Et ce bon père soigne-le bien, dis-lui, de la part de nous, que nous l'aimons beaucoup et que bientôt nous serons tous auprès de lui. Maman a écrit à Alfred[9], nous n'avons toujours pas de ses nouvelles et vous ?
Hier nous eu la visite de Mme Bidault et de M. Louis, nous avons promis d'aller les voir aujourd'hui. Mme Bidault attend son fils, elle va rester à Montmorency et je crains qu'elle ne continue ses leçons, ce sera bien délicat.
6 h
Adieu, ma Chérie, Comment s'est passée ta journée ? Comme ton bouquet doit avoir profité de ta solitude.
Julien a parfaitement travaillé. M. Laurent a vu, revu thème et version, papa peut donc ne pas s'en préoccuper. Il ne m'a pas dit ses leçons, mais, à ce qu'il paraît, il les sait et n'aura qu'à te les répéter à toi pion de premier ordre, ma jeune Gla.
A Samedi, en attendant que tu viennes respirer l'air pur du Cottage, je t'envoie un petit bouquet dont le parfum en se répandant dans l'appartement te fera penser à mère et sœur qui songent tant à toi.
Adieu mon bon père et ma chère petite sœur, à Samedi le bonheur de vous embrasser.
Eug. D
Je te fais compliment de ton élève, vous l'avez bien soigné. Le voilà qui prend du courage, ça marchera.
Depuis ce matin je n'ai rien fait autre que de t'écrire, mais c'est bien le moins, ma chérie que j'aime tant, tu es toute seule. Si tu nous avais entendues avec maman parler de la petite Gla ta modestie t'aurait forcée à te boucher les oreilles.
Mon griffonnage n'est pas digne du tien ! à propos je te fais mon compliment tu excelles dans le petit billet.
Ah ! il faut que je finisse par écrire à Louise[10]. Quel cauchemar. J'ai reçu une lettre de Caroline[11], tu verras elle me répond un petit sermon au mot que je lui ai dit sur ma bêtise de l'autre semaine ; elle craint que nous ne repoussions des parties parce qu’il faut quitter Paris. Tu verras, mais il n'y a rien de neuf à voir. Ils vont tous bien.
Je descends vérifier les écarts de Messieurs tes bas qui, infidèles, comme la colombe, ont abandonné leurs compagnons. Ah ! réjouis-toi les brebis égarées sont rentrées au bercail et si bien gardées par une véritable armée de leurs confrères qu'il est impossible que 13, 2, 4, 5 disparaissent de nouveau.
Marie[12] < > très bonne volonté, ça marche bien. Quant à Pauline ce que tu nous en dis ne nous étonne pas, nous savons bien qu'elle et François font toujours tout pour nous être agréable.
Adieu, ma chère mignonne, maman t'embrasse bien tendrement. moi je t'envoie amitiés sur amitiés et nous répétons qu'elle est donc gentille notre petite Gla
Ta petite sœur
Ta vieille amie
toujours Eug. D.
Ma petite Gla, tu es bien gentille, tu as eu une inspiration parfaite de rester avec ton papa ; Je ne doute pas qu'il ne soit bien content de retrouver ta bonne mine lorsqu'il rentre et ton enfan[13]t sera beaucoup mieux à son arrivée. Tout est pour le mieux. Je t'embrasse ma chère petite fille de tout mon cœur, charge-toi de mille baisers pour ce bon père ou plutôt amusez-vous mutuellement à mon intention.
Ta petite mère qui t'aime beaucoup beaucoup
A. Desnoyers
Vous voyez qu'on pense bien à vous, même la petite mère a voulu vous le dire.
Décidément bonhomme l'hiver nous visite, je viens d'endosser la robe verte.
Je n'ai pas touché à mon piano.
Samedi grande cérémonie à Montmorency. Mme Ugalde se marie avec toute la solennité possible ; elle épouse jeune homme de bonne famille[14] ; ce qu'on dit une honte (pour le jeune homme). Nous avons reçu un billet.
Notes
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers, frère d’Eugénie et d’Aglaé, âgé de 12 ans.
- ↑ François est un domestique.
- ↑ Pauline, autre domestique.
- ↑ Amica Le Roy de Lisa, veuve d’Amédée Clavery, a un fils, Paul, âgé de 27 ans.
- ↑ Charles Morel d’Arleux.
- ↑ Jules Desnoyers est bibliothécaire en chef du Muséum.
- ↑ Alfred Desnoyers, fils aîné.
- ↑ Probablement Louise Milne-Edwards, qui vient d’épouser Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff.
- ↑ Marie, domestique.
- ↑ Julien Desnoyers, jeune frère d’Aglaé.
- ↑ Delphine Ugalde épouse en secondes noces François Varcollier.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 27 octobre 1859. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à sa sœur Aglaé (Paris), avec un ajout de leur mère Jeanne Target », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_27_octobre_1859&oldid=40032 (accédée le 21 novembre 2024).
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