Jeudi 22 juillet 1858

De Une correspondance familiale

Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à ses parents Félicité et Louis Daniel Constant Duméril (Paris)


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Vieux-Thann

22 Juillet 1858

Notre voyage s'est très bien passé, ma chère maman, et si je ne suis pas venue t'en rendre compte dès hier, c'est que depuis plusieurs jours je devais une lettre à Eug.[1] et je craignais de la contrarier ou plutôt de lui faire de la peine, car cette pauvre Nie est toujours triste et a bien de la peine à prendre son parti de notre séparation, aussi tu ne m'en veux pas, n'est-ce pas, si je me suis adressée à elle la première. Nous sommes partis Lundi matin à 6 h 1/2 mais figure-toi que nous dormions si fort que cela a manqué nous jouer un vilain tour, Charles s'est réveillé à 6 h moins 20, m'a réveillée aussitôt et en 20 mn nous nous sommes habillés de la tête aux pieds, avons rangé nos affaires et fermé notre mallette, jamais je crois je ne me suis autant dépêchée ! nous sommes partis avec M. Zaepffel[2], et sommes arrivés à Colmar vers 9 h, nous avons été reçus avec une grâce parfaite dans cette famille, Emilie comme une enfant de la maison et Charles et moi, comme des parents ; nous allons nous trouver alliés, vous le savez à l'une des familles les plus distinguées de l'Alsace. Ces dames sont charmantes. Nous avons quitté Colmar à 4 h dans la voiture de Mme de Rheinwald[3] et sommes arrivés à 5 h 1/4 à Neuf-Brisach où nous avons été accueillis avec toute la bonté et l'affection possibles par l'oncle curé[4] qui a été avec moi aussi charmant qu'on peut l'être ; j'ai rarement vu quelqu'un d'aussi gracieux avec moi et je n'ai jamais plu autant, je crois, à personne. Le lendemain matin nous sommes allés à sa messe puis M. Zaepffel est venu nous rejoindre et nous avons fait une petite promenade. Neuf-Brisach est une ville forte construite par Vauban, il faut traverser trois ponts-levis pour y entrer ; la ville est peu importante et d'un calme extraordinaire, on prétend qu'on peut changer de chemise au milieu de la grande place sans que personne s'en doute. Notre arrivée a fait événement surtout à cause de mon titre de parisienne et la couturière a fait des efforts pour voir la façon de ma robe. Nous sommes repartis de Brisach à 3 h, sommes arrivés à 4 h 1/2 à Colmar, avons laissé Emilie chez Mme de Rheinwald où toute la famille Zaepffel était venue, avons fait quelques visites Charles et moi et sommes partis définitivement à 7 h 1/4 pour Thann où nous sommes rentrés vers 10 h. J'étais bien contente de retrouver le bercail et notre chambre et nos montagnes ; décidément j'ai en horreur les villes de province c'est triste à vous fendre le cœur. Depuis hier j'ai les ouvrières et suis fort occupée par ma toilette pour la soirée Kestner qui sera un grand bal ; je mets décidément ma robe de mariée que je fais décolleter et regarnir avec mes dentelles blanches, ma couronne blanche, ma parure de ma cousine C. Say[5] ; mon bracelet de diamants etc. Cette riche toilette que je vais endosser me fait faire bien des réflexions, et je supplie le bon Dieu de ne pas me laisser oublier que là-dessous, je ne suis pas moins la même petite Crol, que je ne vaux pas une ligne de plus et que j'ai au contraire un écueil de plus à écarter.

Charles m'a chargée de te dire, mon cher père qu'il serait bien aise, quand tu aurais le temps de t'en occuper, de recevoir le contrat de mariage et le montant de ce qu'il doit payer, il a déjà déposé mille francs.

Vous verrez Emilie et la tante[6], je pense dans une quinzaine de jours, je voudrais bien me mettre dans un de leurs paquets. Quand l'idée de vous revoir tous me passe par la tête, mon cœur se serre et il me semble que si je me trouvais près de vous ma joie serait si grande que je ne pourrais que pleurer ; faut-il que j'aime Charles pour être si contente près de lui tandis que j'ai laissé bien loin ceux que j'aimais si vivement et que j'aime depuis ma naissance. L'amour d'une femme pour son mari est quelque chose de bien grand qu'il faut sentir pour le comprendre, dont on ne se fait pas l'idée et dont tous les rêves de jeune fille ne sont même pas l'ombre. C'est un sentiment bien fort et qui a quelque chose de saint. Allons adieu mes bien chers parents, écrivez-nous toujours, une lettre de Paris est une si délicieuse chose.

tendresses pour vous et mille choses affectueuses pour ceux qui vous entourent de la part de vos enfants.

Crol

Je t'en prie ma chère maman ne te mets pas en tête que je ne dois pas sortir sans ma belle-mère[7], cela est impossible, peu à peu au contraire il y a bien des choses qu'il faudra que je lui évite et il est impossible que dès à présent je ne me mette pas à faire des visites seule. N'as-tu donc pas confiance en moi et en ce que Charles me laissera faire. C'est égal ça me coûte un peu de passer cette soirée K. sans avoir quelqu'un pour me protéger il faudra bien là que je paie de ma personne ça je vais être regardée ! hier à Mulhouse on a demandé à Charles si j'y serai. Il y aura plusieurs parisiennes.

Je ne ferai pas de gâteaux avant d'être dans mon ménage. C'est la tante Georges[8] qui fait de bonnes choses et bien recherchées. Catherine[9] la bonne de maman fait de la pâtisserie, nous mangeons souvent des tourtes. Tu aimeras beaucoup la cuisine de ce pays pour plusieurs raisons et surtout parce qu'il y a très peu de sel et pas de poivre.

Je vous embrasse toi et tous bien, bien fort. Je rêve bien souvent de vous, je crois embrasser maman quand Charles m'embrasse < > pour me réveiller et l'autre jour en ouvrant les yeux, je lui ai dit : papa quelle heure est-il ?

Nous pensons toujours partir pour l'Allemagne dans la première semaine d'Août.

J'ai sauté de joie en apprenant que bon-papa[10] était décidé à venir ; dites-lui bien la joie qu'il nous cause.


Notes

  1. Eugénie Desnoyers, appelée Nie par Caroline.
  2. Edgar Zaepffel doit se marier avec Emilie Mertzdorff, veuve de Prosper Leclerc et sœur de Charles.
  3. Louise Zaepffel, épouse de Camille Charles Auguste de Rheinwald.
  4. Le curé Bernard Heuchel est un oncle maternel de Charles Mertzdorff.
  5. Emilie Wey épouse de Constant Say.
  6. Emilie Mertzdorff et Caroline Gasser, épouse de Jean Frédéric Mertzdorff.
  7. La belle-mère de Caroline est Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff.
  8. Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
  9. Catherine Ritzenthaller.
  10. André Marie Constant Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Jeudi 22 juillet 1858. Lettre de Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à ses parents Félicité et Louis Daniel Constant Duméril (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_22_juillet_1858&oldid=56988 (accédée le 21 novembre 2024).

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