Jeudi 21 février 1918

De Une correspondance familiale



Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)


original de la lettre 1918-02-21 pages 1-4.jpg original de la lettre 1918-02-21 pages 2-3.jpg


21 Février 18

Mon cher petit Louis,

Cette lettre t’arrivera après la date du 22 et ne t’apportera mes vœux qu’un peu tardivement. Tu verras du moins que ce n’est pas par oubli de cette date mémorable. Tu vas commencer loin de nous ta 24e année. Puisse-t-elle se passer pour toi sans trop de souffrances, de fatigues, de jours pénibles. Je crois hélas ! que ce n’est pas elle qui te verra encore revenir dans tes foyers et qui te permettra de préparer pratiquement ton avenir. La situation s’est terriblement embrouillée par le lâchage de la Russie et les Boches auraient trop beau rôle si on leur permettait de faire actuellement la paix. Nous sommes en train nous-mêmes de faire un travail d’assainissement et nettoyage intérieur qu’il faut laisser mener à bien. C’est l’exorcisme qui commence ; depuis longtemps je l’appelle de tous mes vœux. Il faut aussi laisser le temps à la conférence de Versailles de faire son œuvre et donner ses résultats, enfin à l’Amérique d’amener son gros appoint de forces. Bref, je crois que ta pauvre 24e année se passera encore à la guerre et ce n’est pas une perspective gaie ! Faut-il te souhaiter de voir ta poitrine s’étoiler de quelque glorieux insigne ? ici tu permettras à mon cœur de maman de se trouver un peu partagé et de se tourner seulement vers la Providence à laquelle je te confie ne lui demandant qu’une chose : t’aider à faire tout ton devoir, quelles qu’en puissent être les conséquences.

Ton papa[1] qui a été amené à étudier de nouveau l’affaire de Montbard[2] arrivée, semble-t-il, à un tournant heureux, est parti brusquement ce matin pour y aller faire un tour et voir où cela en est pratiquement entre les mains d’un certain Gourdin, employé de Houssin et qui fait marcher l’affaire pour le syndic de la faillite.

Houssin est mobilisé et travaille à l’usine de ConstructionsMécaniques à Belfort où ton père a facilité son entrée. Il n’est pas impossible que cette petite affaire puisse être cédée dans de bonnes conditions.

C’est aujourd’hui que Mémé[3] aura la grande joie d’aller voir au Châtelet La Course au Bonheur[4] (loge donnée par Mme Delanney[5]), ses parents l’y accompagnent, avec Elise[6], Poupette[7], Jeanne de [N]. et ses 2 aînés[8]. J’attends les Degroote à déjeuner. Germaine[9] n’arrivera que Samedi matin. Je vous ferai un compte-rendu de ses récits sur Douai.

Je t’embrasse avec une très particulière tendresse, mon cher vieil enfant, qui est tout de même toujours le plus petit.
Emy


Notes

  1. Damas Froissart.
  2. Voir la lettre du 7 février 1918 (B).
  3. Anne Marie Degroote, 10 ans, fille de Henri Degroote et Lucie Froissart.
  4. « La Course au bonheur », pièce à grand spectacle, mêlée de chants et de danses en 4 actes et 18 tableaux de Hugues Delorme (pseudonyme, auteur dramatique et chansonnier, 1868-1942), musique de Marius Baggers, créée en décembre 1917 sous la direction d’Alexandre Fontanes.
  5. Julie Berger, épouse de Marcel Delanney.
  6. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  7. Poupette : Jeanne Dumas ?
  8. Probablement Jeanne de Fréville, épouse de René du Cauzé de Nazelle ; ses deux aînés sont Marguerite (14 ans) et Bernard du Cauzé de Nazelle (12 ans).
  9. Germaine Legrand, épouse d’Alphonse Painthiaux.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 21 février 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_21_f%C3%A9vrier_1918&oldid=55837 (accédée le 28 mars 2024).

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