Jeudi 20 septembre 1917

De Une correspondance familiale



Gazette multigraphiée n° 6, d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Brunehautpré) à son fils Louis Froissart (Fontainebleau)


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G.D.B.[1] N°6      20 Septembre 1917

24) anniversaire de Pierre[2].

Nous tirons aujourd’hui à 6 exemplaires, puisque je ne vois plus, hélas ! circuler ce matin deux grandes formes[3] en pyjama ! la maison est bien vide, bien trop calme ; Françoise[4] est bien trop tranquille et l’on attend impatiemment de nouveaux hôtes. je pense que mon regretté dactylographe est fort occupé en ce moment à faire ses derniers préparatifs de départ ; peut-être des courses du dernier instant et je regrette de ne pouvoir l’aider.

Je reprends mon récit où je l’ai laissé vendredi, tant pis pour ceux qui ont vécu ces six jours avec nous. Vendredi donc voyage à Berck, je crois en avoir déjà fait le récit en revenant le soir.

Samedi, lever matinal car nous avons le service pour le pauvre petit Jules[5] à 8h 1/2 à Mouriez. On ne serait pas Froissart si l’on ne partait pas un peu … juste. Mais c’était Michel[6] qui conduisait et, dame, on a roulé vite, vite, c’était bien un peu vertigineux mais on avait l’agréable sensation que l’on avançait et que l’on rattrapait le temps perdu, personne d’ailleurs sur la route à cette heure matinale, et, grâce à l’habileté de notre chauffeur, nous sommes arrivés au moment précis où les nombreuses voitures de Bamières commençaient à déverser leurs chargements. Long office pendant lequel nous avons admiré la sagesse de Jean et d’André[7], je ne parle pas de Paulo[8], et pourtant, je me demande si une grande fille du même âge n’aurait pas plus d’une fois tourné la tête ? Le personnel de Bamières s’est accru de Gabrielle[9] et de ses fils, de Laure[10] et d’une petite Mandron de 13 ans, un peu dégingandée, profil quelque peu chevalin, avant-dernier numéro d’une famille de 8, cousine germaine d’Albert[11] et qui est revenue de Mers avec Paulo. Pour attendre le déjeuner, une partie de la bande a été visiter la maison de Jeanet a trouvé l’occasion d’une chasse inédite dans le grenier où volaient 7 pigeons ; Deux petits sans plumes gisaient dans un nid sur l’escalier. Grâce à la vigueur de Michel qui armé d’une longue planche faisait la chasse aux pigeons et à la dextérité de Louis[12] qui fonçait dessus et s’en emparait nous nous sommes rendus maîtres des pigeons et nous avons même emporté les deux petits orphelins. Nous n’avons fait en revenant qu’un arrêt à Campagne.

Dimanche votre père[13] était si enrhumé que nous nous sommes tous reposés et ne sommes allés qu’à la grand’messe, Michel est parti à 3h nous l’avons reconduit à Rang du Fliers[14] avec Louis qui, très enrhumé aussi se décide à ne partir que Mardi. Nous avons été soigner tous ces rhumes sur la terrasse du Ménage qui [ ] dans peu de jours être surmontée d’une toiture ; c’est un des travaux en cours qui occupent votre papa. Lundi on a soigné les rhumes à [ ] dans le repos ce qui paraît leur avoir été très avantageux. mardi Louis devant faire signer ou plutôt timbrer [ ] gare de Brimeux, a tenté d’initier Alexandre[15] chemin faisant à la conduite de la moto ; mais mais Alexandre s’était [à l’avance déclaré] inapte à ce genre de sport et après avoir laissé une première fois la moto partir toute seule (heureusement qu’elle s’est [ ] dans le fossé) l’avait ensuite dirigée sur un arbre [ ], crevé un pneu par le choc, Louis qui n’avait [ ] de temps à perdre a jugé l’épreuve suffisamment concluante et [ ] non crevé et l’instrument sans avoir été à Brimeux. Nous sommes passés en allant à Rang du Fliers. Là, nouveaux adieux [ ] Nous avions annoncé notre visite [ ] dans l’espoir de rencontrer le capitaine et nous [ ] du voyage Mme d’Houdain qui descendait du train venant de passer quelques jours auprès de son mari[16]. Elle [ ] dans notre ancienne garnison par les visites [ ] oiseaux nocturnes mais qui n’ont jusqu’ici réservé [ ]. Et nous n’avons pas rencontré le capitaine [ ] parti la veille, pas de chance ! Il vient de passer [treize mois] aux Etats-Unis pour faire des commandes de matériel et [ ] voir.

18h. Hier Mercredi, nous avons été à la messe votre père et moi et avons passé la matinée à Campagne ; les anglais déménagent et j’ai cherché à leur faire comprendre qu’il importait de faire quelques arrangements avant de partir. Le soir, car il était déjà 5H quand nous sommes partis, nous avons été avec Elise[17] et Jacqui à Dommartin chercher nos provisions. On finissait de rentrer l’avoine. Après le souper, étant tranquillement à lire dans le salon nous entendons un bruit insolite suivi de chute, comme si un paquet de neige tombait du toit ; nous avons pensé que c’était un paquet de vigne vierge qui tombait, mais nous avons constaté à notre réveil que c’était une branche du marronnier à côté de la grille d’entrée qui était cassée et tombée sur la grille sans rien casser heureusement. Le malheur a été vite réparé et Paul[18] a pu entrer à Brunehautpré vers midi dans une première voiture suivie d’une seconde, et ses filles, Jules[19] Marguerite[20], Paulo et la jeune Mandron en sont descendus. Pas de cocher, et Alexandre était justement parti avec votre père pour le Ménage et Brimeux où l’essence était arrivée. Paul et Jules ont donc dû dételer et ce n’était pas banal de voir Paul en melon, en pardessus et ganté aller faire boire Kimono jusqu’à la grande mare car elle refusait de descendre dans celle de la cour ; L’incident était clos quand la charrette est rentrée suivie à pied par votre père et Alexandre ; ayant eu à remonter de la gare l’essence et bien d’autres choses, il n’y avait plus place pour eux.

Jules est toujours le même, un bon poilu ; il paraît satisfait de son nouveau sort quoique finalement il ait perdu ses galons pour entrer dans les autos. Laure trouve que cela vaut le coup, d’autant plus que Jules s’attend à rester assez longtemps à l’arrière et espère être envoyé près de Paris. Il a bien gagné un peu de repos et la pauvre Laure aussi !

J’ai omis de dire dans le dernier numéro que nous avions vu Albert Bruche en permission arborant une croix de guerre ; il a une belle citation pour avoir été chercher des une batterie repérée sous le un bombardement intense, étant seul à avoir un tracteur assez fort pour faire le transport des pièces dans un terrain non empierré. IL nous a paru avoir meilleure mine qu’au mois de Mai.

Omis aussi de vous parler d’Étienne Dupont qui a été grièvement blessé à la tête, mais qui s’en tirera. On le dit soigné à Amiens. Savez-vous que [ch’petit] Roux a été assez malade par suite de gaz asphyxiants ? Il achève ici sa convalescence. Nos pommes de terre sont arrachées ; petit rendement, ne comptez pas sur moi pour vous en fournir ! Marc[21] marche à 4 pattes et désire beaucoup marcher sur deux.

Le cochon de 700 F a passé ce matin un vilain ¼ d’h.

Comment t’es-tu tiré d’affaires hier pour ton départ, mon pauvre petit ? pas de voiture à l’horizon, pas encore de Chérifat[22] dans la maison, peut-être pas de déjeuner, une cantine et autres objets à transporter. Tout cela m’a tracassée la nuit et je me suis reprochée de ne pas avoir parlé avec toi de ces difficultés pour t’aider à les surmonter. Ton papa m’a consolée en me disant que tu en verrais bien d’autres, et de plus difficiles.

C’est triste de ne plus entendre le pianola et de ne plus voir du tout de fils !...

Je t’embrasse, mon bon petit, heureuse de ces dix jours qui m’ont laissé de si doux souvenirs dans le cadre très aimé de Brunehautpré. Bon courage, mon petit, bonne santé et donne-nous bientôt de tes nouvelles.

Emy


Notes

  1. Gazette De Brunehautpré.
  2. Pierre Froissart.
  3. Michel et Louis Froissart.
  4. Françoise Maurise Giroud, veuve de Jean Marie Cottard, employée par les Froissart.
  5. Jules Froissart, « tué à l’ennemi » le 16 septembre 1914.
  6. Michel Froissart, frère de Louis.
  7. Jean (Paul Maximilien Marie Cornil) (7 ans) et André (5 ans) Froissart.
  8. Paulo : Paul Tréca (8 ans).
  9. Gabrielle Froissart, épouse d’Albert Tréca, mère de Paul (Paulo), Gérard et Michel Tréca.
  10. Laure Froissart, épouse de Jules Legentil.
  11. Albert Tréca.
  12. Louis Froissart, destinataire de la Gazette.
  13. Damas Froissart.
  14. Gare de Rang du Fliers.
  15. Alexandre Baudens, employé par les Froissart.
  16. Probablement Léon (Louis Marie) d’Houdain (1862-1933), polytechnicien (1883), versé dans l’artillerie.
  17. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart et mère de Jacques Damas (Jacqui) Froissart.
  18. Paul Froissart.
  19. Jules Legentil, époux de Laure Froissart.
  20. Marguerite Dambricourt épouse de Jean Froissart.
  21. Marc Froissart.
  22. Allusion à Mme Chérifat (employée par les Froissart) alors absente.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 20 septembre 1917. Gazette multigraphiée n° 6, d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Brunehautpré) à son fils Louis Froissart (Fontainebleau) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_20_septembre_1917&oldid=59404 (accédée le 21 novembre 2024).

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