Jeudi 15 août 1918
Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (au Bourdieu à Bègles) à son fils Louis Froissart (mobilisé)
Le Bourdieu 15 Août 18
Bègles (Gironde)
Mon cher Louis,
Ta lettre du 4 Août m’est arrivée à Paris après avoir été lue par ton papa[1] à Campagne, et je te remercie de tous ces détails que tu nous donnes sur toi quoiqu’il soit assez difficile de comprendre si tu restes dans tes fonctions d’officier de liaison ou si tu es retourné à ta Batterie. Mais comme tu ne donnes pas de modification d’adresse, j’opte pour la première hypothèse.
Votre repos n’aura pas été long ! tu t’y attendais, mais peut-être aurais-tu été bien aise de te tromper sur ce point.
Je ne suis arrivée au Bourdieu qu’hier matin ayant prolongé de 48 heures mon séjour à Paris pour voir Jacques[2] qui y a passé, allant en permission à Paramé. Il est arrivé Lundi matin et reparti à la même heure que moi Mardi soir. J’ai été bien contente de pouvoir profiter de ces deux journées, quoiqu’un grand nombre de ces courtes heures aient été absorbées pour le pauvre garçon par des séances de dentiste. Je l’ai trouvé d’ailleurs fatigué, il a eu un peu de grippe et se sent encore assez détraqué. Sa permission arrive à propos pour le reposer.
Je trouve Lucie[3] en parfait état et Yves a bien voulu attendre mon arrivée. Le Bourdieu est très ombragé et je trouve qu’il y fait délicieux malgré la chaleur qui rend évidemment assez pénibles les courses pour en sortir soit vers Bègles soit vers Bordeaux. Les moyens de locomotion sont rares et hors de prix. Cette situation inquiète un peu Henri et Lucie en songeant à la rentrée des classes et aux courses obligatoires des enfants[4]. Henri est loin d’être bien. Cela lui vaudra sans aucun doute une nouvelle prolongation de convalescence, mais combien j’aimerais mieux le voir apte à repartir au front !... après tout je ne sais si je devrais m’en réjouir !... le mieux est de trouver bien ce que l’on a et je remercie Dieu de le tenir à l’abri du danger.
J’ai été voir les pauvre Duval-Arnould[5]. Tu as dû apprendre par L’Écho de Paris la mort de Rémy[6]. Il a été tué près de Bligny, ayant échappé aux sérieux dangers de la bataille qui s’y est livrée et tranquillisé sa mère par une lettre écrite le 30 Juillet. Deux jours après cette lettre, elle en recevait une du Colonel lui annonçant que Rémy avait trouvé la mort en allant arranger surveiller des lignes téléphoniques. On l’a trouvé tué par un obus qui était tombé à 10 m de lui.
Je t’embrasse tendrement, mon cher enfant.
Emy
Jacques aurait voulu profiter de son passage pour faire la connaissance de Madé[7] mais elle est encore très fatiguée et n’a pu venir.
Cécile[8] m’a envoyé des détails sur la mort de Jean[9] que l’on tient de son Lieutenant l’Abbé Debrune[10]. C’est le 20 et non le 19 qu’il a été frappé d’une balle au front. La mort a été presque instantanée, ne lui laissant que le temps « d’offrir à Dieu le sacrifice de sa vie pour le salut de la France et le bonheur des siens ».
La tante Marie[11] revient d’Alsace ! Elle y a été emmenée par Mme Koechlin[12] qui allait là-bas pour s’occuper de son œuvre si belle et si utile qui assure de l’ouvrage aux femmes évacuées de chez elles. On n’a pas voulu que Marie aille à Vieux-Thann. Elle l’a regretté mais a bien joui de revoir Thann où elle a été reçue par son neveu l’Abbé de la Serre[13] qui y est si aimé. Elle a vu nos sœurs de l’école de l’hôpital de Vieux-Thann et beaucoup de nos gens.
Notes
- ↑ Damas Froissart.
- ↑ Jacques Froissart, frère de Louis.
- ↑ Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote ; elle accouchera d’Yves Degroote le 17 août.
- ↑ Anne Marie, Georges, Geneviève et Odile Degroote.
- ↑ Paule Arnould et son époux Louis Duval (Duval-Arnould).
- ↑ Rémy Duval-Arnould.
- ↑ Madeleine Peignot, fiancée à Michel Froissart.
- ↑ Cécile Dambricourt, épouse de Maximilien Froissart.
- ↑ Jean Froissart.
- ↑ L’abbé Henri Debrune.
- ↑ Marie Mertzdorff, veuve de Marcel de Fréville.
- ↑ Hypothèse : Cécile Widemann veuve d’Horace Koechlin.
- ↑ René Barbier de la Serre.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 15 août 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (au Bourdieu à Bègles) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_15_ao%C3%BBt_1918&oldid=59302 (accédée le 18 décembre 2024).
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