Jeudi 10 septembre 1846

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Alost en Belgique) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris), avec un ajout de sa femme Eugénie


d’André Auguste Duméril.

10 heures. Alost jeudi 10 Septembre 1846.

Voici encore une lettre datée d’Alost, ma chère et bonne maman, mais c’est la dernière, car nous partons aujourd’hui à 4 heures, pour aller coucher à Bruxelles. Les plans de Constant[1] et de Félicité ont été un peu dérangés par une petite indisposition de Léon, qui, heureusement, n’a eu aucune suite, car ils ont pu partir ce matin, à 7 heures, pour Ostende. Ils comptaient se mettre en route mardi matin, mais voilà que, dans l’après-midi de lundi, Léon a été pris de malaise, accompagné de frissons : on l’a couché, et il se sentait assez bien le mardi matin, avant d’être levé, pour qu’on fît tous les préparatifs de départ : au moment de partir cependant, comme il avait encore la tête chaude, et un peu de fièvre, on est resté. La journée de mardi avait été bonne jusqu’à 5 heures environ, heure à laquelle on l’a levé, mais quand il a été habillé, il a été fatigué par un très fort orage, qui a duré 2 heures environ : il était abattu, mal en train, et je ne savais trop s’il ne s’annonçait pas quelque chose de sérieux. La nuit du mardi au mercredi, fort heureusement, fut excellente, et, hier matin, ce cher petit était complètement remis, et la journée a été parfaite, pour l’entrain et l’appétit. Ce matin, au moment du départ, il était aussi bien que possible, et très content, ainsi que Caroline, d’aller voir la mer à Ostende : ils reviendront coucher ce soir à Bruxelles, où nous comptons souper ensemble. Ils y passeront la journée de demain, tandis que nous nous mettrons en route, dès le matin, pour Namur, où nous prendrons le bateau à vapeur pour aller à Liège, afin de connaître les bords de la Meuse, qu’on dit très jolis. Nous venons d’avoir hier et avant-hier, deux très forts orages, qui, heureusement, à ce que je crois, d’après le temps qu’il fait aujourd’hui, ne l’auront pas gâté, comme on aurait pu le craindre. Ce n’est pas sans un serrement de cœur, comme vous le comprendrez tous, à Paris, que nous nous mettrons en route ce soir : Eugénie[2], depuis 2 ou 3 jours, n’a plus tout à fait le même entrain qu’à Lille, car elle sent que chaque journée écoulée la rapproche du moment de la séparation, cependant, dans 24 ou 48 heures, elle aura surmonté cette impression, et j’espère qu’elle jouira pleinement du beau voyage que nous allons faire. La dent d’Adèle n’est pas encore percée, mais elle va l’être, car justement aujourd’hui, où les pointes se voient presque au dehors, elle a un peu moins d’entrain qu’à l’ordinaire, avec son nez qui coule et ses yeux qui pleurent, de sorte que je ne serais pas étonné que demain, ou après-demain, cette dent fût sortie. Comme cependant elle pourrait se faire attendre davantage, et que plus nous retarderons notre départ, plus nous courons la chance d’être surpris par le mauvais temps, nous nous décidons à partir. Tout est très commode pour Adèle. Constant vous donnera des détails sur la maison, sur le jardin, et sur la promenade, où elle pourra se promener avec sa bonne[3], qui paraît aussi bien disposée que possible à en avoir le plus grand soin. Mon oncle et ma tante[4] l’aiment et s’en occupent, ainsi qu’Émile, qui restera ici presque tout le temps de notre absence, et qui a promis d’en avoir soin aussi : Adèle l’aime bien, parce qu’il joue avec elle.

Je vous transmets tous ces détails, parce que je sais que les grands-parents seront bien aise de les connaître.

Constant s’étant décidé à passer le mercredi ici, avait écrit au directeur de la poste aux lettres de Bruxelles, pour le prier de lui envoyer à Alost les lettres qui auraient pu parvenir à son adresse, poste restante. Il les a, en effet, reçues, hier au soir, ainsi que la tienne, dont nous avons eu ainsi le plaisir, Eugénie et moi, de prendre connaissance. Tu avais oublié de mettre : poste restante, mais c’est tout à fait indispensable, et cette lettre aurait pu être mise au rebut : c’est une attention qu’il ne faut pas négliger. J’espère en recevoir une de toi aujourd’hui, comme tu l’annonces à Constant. Ce dernier prie papa[5] d’avoir la complaisance de passer à son bureau, pour dire à M. Guinant, son commis, qu’il a reçu ses lettres, qu’il arrivera samedi soir à Paris, et qu’il désire le trouver au bureau, dimanche matin. Les lettres reçues par Constant, lui donnent de la tranquillité d’esprit, de sorte qu’il n’est pas contrarié de la prolongation de son absence. Je ne pense pas qu’ils arrivent de bonne heure à Paris, samedi soir. Leur intention est de passer la nuit de vendredi à samedi à Valenciennes, de manière, en en partant de bonne heure, samedi matin, à pouvoir s’arrêter à Montataire.

Notre temps se passe ici fort agréablement : nous faisons de jolies promenades avec Émile, et nous restons en famille. Le grand et superbe dîner de dimanche a bien réussi, et n’a pas été trop ennuyeux. Constant se sent très bien, quoiqu’il ait encore quelques soulevures à la peau, mais il n’en n’a pas eu du tout à la figure : ces promenades ne l’ont pas fatigué. Je suis bien content de savoir que chacun se porte bien, et nous jouissons beaucoup, Eugénie et moi, de penser que l’on éprouve pas trop de vide rues Cuvier et St Victor[6] : nous serons bien contents, pour vous tous, du retour de Constant et de Félicité, et de leurs enfants, qui ont eu beaucoup de succès. Nous sommes bien impatients de connaître le résultat des premières épreuves de M. Malard[7] et d’Alfred ; auxquels nous envoyons nos amitiés. Nous sommes fort heureux de savoir Bibron de retour, et plus content de sa santé : nous espérons qu’il sera promptement débarrassé de sa toux nerveuse. Je lui envoie mes bien sincères amitiés, et nous adressons nos compliments affectueux à Mme Bibron[8].

Si tu désirais nous écrire, pendant notre voyage sur le Rhin, une lettre écrite samedi ou dimanche, nous arriverait à Francfort-sur-le-Main, où nous passerons la journée du 17. Nous passerons la journée du 21 à Baden-Baden (ne pas oublier de mettre poste restante). Je tâcherai de vous donner 2 ou 3 fois de nos nouvelles, pendant ces douze ou treize jours.

Adieu, ma chère maman ; reçois, ainsi que papa, l’assurance de mon affection, dont je prie mon oncle et ma tante[9] de vouloir bien prendre leur bonne part. Eugénie me réclame un peu de place.

Votre affectionné fils

A Aug Duméril.

d’Eugénie Duméril.

Je ne veux pas laisser partir la lettre d’Auguste, ma chère maman, sans y ajouter un mot de souvenir. Nous sommes décidés à partir aujourd’hui, puisque le beau temps nous favorise, et que la dent d’Adèle doive peut-être se faire attendre encore, pendant deux ou trois jours. Adèle est d’ailleurs aussi bien que possible, à part un peu de dérangement de corps. Je ne suis pas tout à fait dans mon assiette ordinaire. Peut-être cela tient-il à ce que je n’ai pas très bien dormi cette nuit, où à ce que j’ai pris froid en me levant pour Adèle. Auguste vous donne des détails sur le ménage Constant, et je n’ai rien à ajouter à ce qu’il vous dit. Je vous prie de vouloir bien être mon interprète auprès de papa et de maman, en leur faisant mes tendres amitiés.

Recevez, je vous prie, ainsi que mon beau-père, l’expression de mes sentiments affectueux. Veuillez me rappeler au bon souvenir de M. Malard.

E. Duméril


Notes

  1. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste, époux de Félicité, père de Caroline (née en 1836) et Léon (né en 1840).
  2. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste, mère d’Adèle (née en 1844).
  3. Probablement Sophie.
  4. Jean Charles Cumont et son épouse Jeanne Declercq ; leur fils Emile.
  5. André Marie Constant Duméril.
  6. André Marie Constant Duméril et Alphonsine habitent rue Cuvier ; Auguste Duméril (l’aîné) et Alexandrine habitent rue Saint-Victor, à Paris.
  7. André Malard, époux de Thelcide Duméril ; Alfred Duméril, frère de Thelcide.
  8. Jeanne Belloc.
  9. Auguste Duméril (l’aîné) et son épouse Alexandrine Cumont, qui sont les parents d’Eugénie.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à Lille, à l’époque du mariage d’Eléonore, et en Belgique. Détails sur la dysenterie d’Adèle. 1846 », p. 435-442

Pour citer cette page

« Jeudi 10 septembre 1846. Lettre d’Auguste Duméril (Alost en Belgique) à sa mère Alphonsine Delaroche (Paris), avec un ajout de sa femme Eugénie », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_10_septembre_1846&oldid=57206 (accédée le 16 avril 2024).

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