Jeudi 10 octobre 1902

De Une correspondance familiale



Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Château de Livet dans l'Orne)


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Douai, 10 Octobre

Ma chère Marie,

Il faut que je vienne tout de suite te remercier de la bonne lettre si affectueuse que j’ai reçue de toi hier après-midi ; Oui, c’est vrai que les séparations sont toujours tristes et qu’il m’en coûte plus que je ne veux le dire de n’avoir pas mon grand garçon[1] près de moi. Tu vas sentir cela malheureusement dans bien peu de temps, ma pauvre chérie, et je pense plus que jamais à toi en approchant de ce moment de nouveaux examens pour Robert[2], puis au départ au régiment. Si le bon Dieu se fatiguait de nos prières, il devrait bien l’être en m’entendant lui parler de toi, de vous tous ! de loin c’est tout ce que je peux faire, mais cela, du moins, je le fais bien du fond du cœur.

Jacques se sent encore assez isolé, il ne trouve jusqu’à présent aucun camarade qui lui soit particulièrement sympathique mais il serait étonnant et même fâcheux qu’il se fût déjà pris d’amitié pour quelqu’un et nous ne pouvons que l’encourager à étudier ses camarades avant de se lier avec aucun. Le pauvre garçon se trouve un peu noyé dans sa classe, il a de la peine à comprendre, c’est toujours ainsi pour lui au début de l’année et cela le rend très malheureux. Ce n’est qu’à force de travail qu’il arrive à comprendre les mathématiques.

Nous attendons tout à fait la visite de Jean[3], probablement Mardi. Sans les grèves Damas[4] aurait dû être ce jour-là dans les Vosges pour assister au mariage d’un de ses lieutenants mais les troupes sont étroitement consignées et il n’est pas probable que la grève ait cessé avant 3 jours.

Nous avons reçu avant-hier de très aimables lettres de Marcel et de Charles[5], c’est ainsi que j’ai su que tu étais restée à Livet.

Je suis navrée de ce que tu me dis de notre pauvre petite sœur Adrienne.

Michel[6] va mieux, sa gorge est guérie, mais il est encore un peu fatigué et un peu gémissant quoiqu’il ait un excellent appétit. Il retourne au collège n’ayant été arrêté d’ailleurs qu’un seul jour. Nous avons même pu l’emmener Mercredi voir Barnum[7], avec tous les autres. Toute la ville était sans dessus dessous, c’était très amusant. Le cirque ne reste qu’un jour dans chaque ville, à moins que ce soit un très grand centre.

T’ai-je dit que nous perdons les Perruchon[8] ? Le Colonel est nommé (quoique encore Colonel) au commandement d’une brigade de cavalerie à Vesoul et va, par conséquent faire les fonctions de Général avant d’avoir les étoiles qui ne se feront sans doute pas longtemps attendre. C’est superbe, il n’a qu’un an de plus que Damas ! Mais pour nous, pour nos filles[9], c’est une grosse perte que nous ressentons très vivement. Heureusement que ma chère Mme Majorelle[10] me reste. En somme nous avons en ce moment un régiment admirablement composé et j’en jouis beaucoup. Malgré la séparation d’avec Jacques qui reste très pénible, je reprends avec plaisir et entrain ma vie d’hiver. Les vacances sont si peu pour nous un moment de réunion [  ] puisque Damas est presque toujours absent et que ce n’est pas pour nous l’idéal du bonheur. Nous avons laissé notre pauvre mère[11] triste assurément mais aussi bien que possible.

Les Target[12] nous ont promis leur visite entre le 15 et le 29, mais nous sommes sans nouvelles d’eux depuis longtemps. Adieu ma chérie, je t’embrasse tendrement. Amitiés à tes chères filles[13]. N’est-ce pas hier que Françoise a eu 10 ans. Oh oui, elle est gentille ta Jeanne. Bien heureux celui qui l’aura en partage.

Émilie


Notes

  1. Jacques Froissart, pensionnaire à Paris.
  2. Robert de Fréville.
  3. Jean Dumas.
  4. Damas Froissart.
  5. Marcel de Fréville et son fils Charles.
  6. Michel Froissart.
  7. Barnum & Bailey Circus fait en 1902 une tournée en France.
  8. Le colonel Georges Perruchon et son épouse Marie Montena.
  9. Lucie et Madeleine Froissart.
  10. Caroline Marie Caze, épouse du colonel Fernand Eugène Majorelle.
  11. Aurélie Parenty, veuve de Joseph Damas Froissart.
  12. Louis Target, son épouse Thérèse Maugis et leurs filles (probablement Marie et Françoise Target).
  13. Jeanne (18 ans), Marie Thérèse et Françoise (née le 9 octobre 1892) de Fréville.

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Jeudi 10 octobre 1902. Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Château de Livet dans l'Orne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_10_octobre_1902&oldid=54586 (accédée le 21 novembre 2024).

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