Jeudi 10 février 1916
Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)
29, RUE DE SÈVRES, VIE[1]
Le 10 Février 1916
Mon cher Louis,
C’et bien à mon tour de t’écrire. Je vis un peu sur le souvenir de lettres écrites au Camp de la Braconne
« j’étais en pèlerinage
pour le bien de votre santé ».
Je me consolais encore d’avoir écrit 4 pages et 4 marges au Commandant Fourcroy[2] à ton sujet le 21 Janvier… bien que mes pages ne l’y aient peut-être plus trouvé ?! parce qu’il nous a dit depuis avoir intéressé à ta personne le lieutenant Cailles.
Mais voici que le lieutenant Cailles te quitte à son tour : c’est navrant. Qui restera pour s’occuper de vous ? Le Commandant Fourcroy ne m’a pas beaucoup édifié en me disant le nombre de canons dont vous disposez : 4 si j’ai bonne mémoire ! J’espère au moins qu’on passe les 24 heures ininterrompues autour de ces 4 canons qu’il faut bien apprendre à faire manœuvrer la nuit et que vous en êtes quittes pour faire les grasses matinées quand vous avez été de l’équipe de Nuit. Ai-je bien deviné ?
Tout de même les infortunes de Michel[3] m’ayant donné l’éveil, (le malheureux à qui je proposais d’aller faire une visite… circulaire à Fontainebleau quelques jours avant que la liste ne soit arrêtée, optimiste toujours, ne m’a pas convoqué !) J’ai écrit le 31 au Commandant Lav… pour lui dire grand bien de ton « instruction Générale » faute de pouvoir lui dire que tu es très calé en maths, et lui faire tous mes compliments sur la [transformation] en une sorte d’Éden du Camp de la Braconne. Je visais dans cette lettre les compositions que tu nous disais avoir faites et dont, à mon grand étonnement, tu ne nous as pas reparlé depuis ! Fais-tu le service de tout le monde, ou fais-tu, dès maintenant, l’instruction d’un peloton ? ou vous fait-on prévoir quelque chose au sujet de cette sélection ? Je pense que tu montes à cheval tous les jours, que tu fais 1 ou 2 manœuvres à pied, 1 manœuvre d’artillerie, 2 instructions sur le service Intérieur ou le service [des Places] ? Est-ce vous qui faites le pansage ? Vous laisse-t-on à la Braconne tous les jeunes soldats des 15, 27, 41, et 101 comme ça avait commencé, si j’ai bien compris et bien que vous ayez cessé, paraît-il, d’être soumis au général Herment à qui revenait sans doute cette idée de vous réunir à la Braconne ? Vous dépendez seulement du général commandant l’artillerie de la 12e Région à Limoges et je ne le connais pas personnellement.
L’important est que tu as l’air d’être très acclimaté : les microbes de la fièvre typhoïde t’ont trouvé plus résistant que fin 1914. Ta mère[4] t’envoie du lait concentré liquide. Tu diras si tu l’aimes mieux en poudre genre [Leskac] on pourrait t’envoyer 5 œufs à la fois par la poste : le faut-il ?
Avec le lait il y aura du Cacao. Tous mes compliments pour avoir trouvé le brasseur rêvé, faute d’avoir trouvé les repas rêvés. Tu te ravitailleras sans doute à temps à notre [caisse] ? On attendra que tu fasses signe.
Ta mère t’a écrit que Jacques[5] est entré au Val de Grâce : on va le détacher de là, écrit-il, « à la Maison Blanche » à 1h de Paris, en observation (sinon en traitement).
Michel nous a quittés, ce matin, guéri du vilain rhume avec lequel il était arrivé ici. Ce qui me consolait un peu de ne pas le voir partir pour Valréas où il eut été sans cela. On parlait d’une liste supplémentaire possible : Michel n’a pas voulu que j’essaie de l’y faire comprendre et je n’ai pas insisté parce qu’il eut probablement été inscrit au titre des [Crapouïas,] qui comprennent les derniers des élus. Il a dû renter ce matin à 10h sans gloire à Joigny au dépôt du 105. Il pense obtenir de passer au 111e (Dépôt Lorient) Régiment du colonel Moraillon et ne désespère pas de passer sous-lieutenant sur le front si on ne le retient pas pour l’instruction de la classe 17. Il eut été plus simple de prendre plus au sérieux l’enseignement donné à Fontainebleau et de ne pas trop compter sur ses [ ] [notes orales] Je ne peux te donner plus de renseignements quant à son adresse : écris Joigny [ ].
La classe 17 coule des jours heureux sans nous dans le Pas-de-Calais : j’ai pu envoyer de Lyon des tissus pour faire des draps aux nombreux officiers, aspirants [ ] que nous couchons, à côté d’Alexandre[6] et chez Pauline[7]. Les dames qui étaient venues vont partir ou sont parties. As-tu su que Jean[8] après 15 jours de permission est retourné à Bergerac ? Pierre[9] paraît devoir être libre de revenir ici à partir du 26 ; sais-tu que son adresse est « Centre d’instruction des EOR[10], Valréas, Vaucluse). Vu Guy de Place de passage ce dimanche et Charles de Fréville revenu d’ailleurs depuis enterrer un aviateur son copain, [ ] de 2 000 W.
J’ai marié [ ] [des constructions] navales Pierre Hamy (j’étais témoin).
Mille amitiés. Écris souvent,
D. Froissart
Il est question pour que nous ne perdions pas le contact avec les chirurgiens que ta sœur Lucie[11] qui ajournait depuis plusieurs années de se mettre entre leurs mains se rende dans une clinique mercredi soir pour une quinzaine de jours : rien d’alarmant. Les enfants[12] vont bien (Anne Marie et Geo). Suzanne et Geneviève sans être malades, sont soignées un peu à leur tour de quelque variante de jaunisse.
Rien de très saillant à te dire : Vieux-Thann continue à me donner du travail supplémentaire : je soupçonne le séquestre de chercher à gagner ses honoraires avec le minimum de peine ce qui ne fera pas le maximum de profit pour nous. En attendant la vente, le cours des tissus monte [au-dessus] aujourd’hui du [Baurel] à 60% au minimum au-dessus du mois de Juillet 1914. Le séquestre ne provoque pas du tout la concurrence comme il le devrait.
Notes
- ↑ Adresse imprimée.
- ↑ Albert Georges Fourcroy.
- ↑ Michel Froissart, frère de Louis.
- ↑ Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
- ↑ Jacques Froissart, frère de Louis.
- ↑ Alexandre Baudens, chauffeur chez les Froissart.
- ↑ Pauline Levecque, veuve de Philibert Vasse, employée à Brunehautpré.
- ↑ Jean Froissart.
- ↑ Pierre Froissart.
- ↑ EOR : élèves officiers de réserve.
- ↑ Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.
- ↑ Anne Marie, Georges, Suzanne et Geneviève Degroote.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 10 février 1916. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_10_f%C3%A9vrier_1916&oldid=59414 (accédée le 21 novembre 2024).
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