Dimanche 8 septembre 1918
Lettre d’
Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (en train, entre Amiens et Abbeville) à son fils Louis Froissart (mobilisé)
Entre Amiens et Abbeville
8 Septembre 18
Mon cher Louis,
Quoique j’aie quitté Bègles le Dimanche dernier, je ne suis encore qu’à Amiens ayant été retenue à Paris par la nécessité de faire renouveler mon sauf-conduit périmé et d’attendre jusqu’à Vendredi soir qu’on ait bien voulu à la gare d’Orsay me délivrer ma malle. Quelle cohue ! Cela prouve-t-il qu’on rentre en masse à Paris ? un homme d’équipe qui contemplait ce déballage considérable disait tranquillement : « Ils sont aussi pressés de revenir qu’ils étaient pressés de partir !... »
Cette petite prolongation de séjour à Paris m’a permis d’aller passer une journée et 2 nuits à Ecuelles quoique ayant eu Mercredi la visite de Guy et Made[1] ; je suis partie avec eux. J’ai trouvé les enfants[2] très bien. Hubert surtout est très changé, il se débrouille et se fortifie beaucoup malgré son nouveau petit ennui abdominal.
J’ai pu aussi aller voir la pauvre Louise Jubaru[3]. Hélas ! je crains qu’elle soit bien gravement atteinte et tourne à la tuberculose comme Fanchette[4] et comme Félix[5] ! Elle avait eu dans la nuit une hémorragie intestinale qui me paraît un symptôme grave et d’ailleurs la salle d’hôpital où on l’a mise m’a bien fait l’effet d’être celle des tuberculeuses !
Nous venons de passer avant surtout et un peu après Amiens par des paysages de guerre terriblement émouvants et particulièrement intéressants : les tranchées, les fils de fer barbelés, les trous d’obus, les villages démolis, les gares effondrées, c’est impressionnant mais ce n’est encore qu’une faible image de ce qu’on voit ailleurs !
Elise[6] a reçu de la + Rouge[7] Suisse la confirmation de la mort du pauvre Maurice[8]. Il est mort non sur le coup, mais dans un poste de secours allemand, on ne dit pas combien de temps il a survécu à sa blessure, et l’on ne donne aucun détail. En aura-t-on jamais ?
Je devrais arriver actuellement à Etaples, ne suis pas encore à Noyelle ! j’espère que la correspondance à Etaples attend l’express. Je dois arriver à Beaurainville, théoriquement 7 heures après mon départ de Paris. Que les temps sont changés ! Quel beau travail on fait sur tout le front. Et tu n’[es] pas encore de l’avance cette fois car il ne paraît pas bien probable que tu y sois mêlé dans ton tranquille secteur.
As-tu vu la naissance de la petite Corpet[9] le 3 Septembre ?
Je te quitte pour faire un petit somme avant d’arriver à Etaples. Je t’embrasse donc bien affectueusement.
Emy
Lucie[10] a commencé à se lever.
Notes
- ↑ Guy Colmet Daâge et son épouse Madeleine Froissart.
- ↑ Patrice, Bernard et Hubert (2 ans) Colmet Daâge.
- ↑ Louise Jubaru décède à Paris le 18 septembre 1918.
- ↑ Fanchette Cottard (1868-1906), épouse de François Veillet.
- ↑ Félix Cottard (1882-1910).
- ↑ Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
- ↑ La Croix rouge.
- ↑ Maurice Vandame († 9 juin 1918), frère d’Elise.
- ↑ Marie Anne Corpet.
- ↑ Lucie Froissart, épouse de Henri Degroote, qui a accouché le 17 août.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 8 septembre 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (en train, entre Amiens et Abbeville) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_8_septembre_1918&oldid=56433 (accédée le 21 novembre 2024).
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