Dimanche 4 octobre 1874
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 4 Octobre 1874.
Dimanche.
Mon petit papa chéri,
Quoique je t’aie écrit hier et que je n’aie pas grand chose à te dire je ne puis résister au désir que j’ai de venir te dire un petit bonjour et te remercier pour ta bonne et chère lettre reçue ce matin et qui nous a fait un plaisir immense comme tu le comprends aisément.
Je vais commencer par te narrer notre journée d’aujourd’hui.
Nous avons été à la messe de huit heures comme de coutume et n’avons pour ainsi dire rien fait jusqu’au déjeuner, nous étions à peine à table que Jean[1] entre tout rouge tout affairé mais il faut auparavant que je te dise qu’hier il a été décidé que maintenant il allait aller seul du Jardin[2] chez sa mère[3] et réciproquement. C’était son premier coup d’essai. Il nous dit bonjour puis nous raconte qu’il a été escorté tout le temps par un petit gamin suivi bientôt de plusieurs autres qui n’ont cessé de se moquer de lui parce qu’il avait une petite canne à la main (qu’il avait prise de peur des chiens) et qu’on voyait ses bas, qu’il avait des culottes courtes &&. Le pauvre chéri était extrêmement ennuyé mais il n’avait pas couru ni répondu à ses interlocuteurs.
Après le déjeuner nous avons été dans la ménagerie puis M. Brouardel et Mme Dumas sont venus ; Noël[4] est paraît-il reçu dans un très bon rang car cette année, par extraordinaire, on en a reçu <100>, ce qu’on ne savait pas encore lorsque je t’ai écrit.
Mme Dumas est partie avec Marthe[5] pour la messe de 12h ½ et oncle[6] qui roulait depuis ce matin un projet dans sa tête lui a donné rendez-vous à la porte de Notre-Dame. Il pleuvait à torrents aussi avons-nous pris l’omnibus oncle seul est allé prendre le petit[7] et nous avons été directement les attendre à la porte de la belle Jardinière[8]. Voilà ce que c’était : depuis quelques temps déjà oncle trouvait que Jean devait porter des culottes longues l’aventure de ce matin lui suggéra l’idée de jouer un petit tour à Mme Dumas et de l’habiller de pied en <cap> en homme. Nous voilà donc entrés, Jean ne se sentait plus de joie quant à nous nous nous tordions de rire en voyant achetés pantalon, gilet, veste, bretelles chemises d’hommes, bref un habillement complet. Nous sommes rentrés à pied et nous l’avons habillé cela lui va parfaitement et lui donne l’air très grand et très gentil. Nous avons goûté et il vient de partir surprendre sa maman ce que j’aurais bien aimé voir. Il espère que sous ce nouveau costume les gamins ne le reconnaîtront pas et il s’est bien gardé de reprendre sa canne. Première aventure qui sera probablement suivie de plus d’une autre pendant sa vie.
Hier après t’avoir écrit nous avons fait une série de courses. D’abord rue des Postes puis porter chez la couturière une robe à tante[9], chez Mme Trézel[10], faire réparer nos chaînes, voir si on a expédié le livre pour Mlle Bulffer[11] et le payer &&
Mon petit père chéri que fais-tu aujourd’hui ? Je suis sûre que tu as passé une grande partie de ta journée en rangement et l’autre dans ton cabinet du fond ou au petit salon tout seul à réfléchir ; que j’aimerais être avec toi mon petit papa chéri. A revoir mon bon père je t’embrasse mille et mille fois. ta petite fille qui t’aime énormément et qui voudrait tant te faire plaisir.
Marie
Tout le monde ici présent t’embrasse bien. Nous sommes dans le cabinet d’oncle qui fait des rangements ainsi que tante. Emilie[12] Marthe et Jeanne[13] jouent à la poupée et moi j’écris une sale petite lettre à mon papa chéri pour laquelle je lui fais bien des excuses.
Si tu vois Mercredi bon-papa et bonne-maman[14] comme tu me dis en avoir l’intention embrasse-les bien bien fort pour moi.
Notes
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Le Jardin des Plantes.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas (Mme Dumas).
- ↑ Noël Dumas, reçu à Saint-Cyr dans « La Grande Promotion » (1874-1876) qui tient son nom du nombre d'élèves incorporés.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ À la Belle Jardinière est l'enseigne d'un magasin de confection, installé quai de la Mégisserie depuis 1867.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ Probablement Joséphine Bulffer, ancien professeur d’allemand de Marie.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille et sa sœur Jeanne.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 4 octobre 1874. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_4_octobre_1874&oldid=56560 (accédée le 21 novembre 2024).
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