Dimanche 3 septembre 1916

De Une correspondance familiale


Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Saint Cloud) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-09-03 pages 1-4.jpg original de la lettre 1916-09-03 pages 2-3.jpg


Saint Cloud, 3 Septembre[1]

Mon cher petit Louis,

Je t’ai envoyé d’horrible papier à lettre jaune que j’ai eu bien de la peine à trouver à Saint Cloud, ayant oublié de t’en envoyer de Paris. Je t’engage à t’en débarrasser le plus vite possible en me le renvoyant après y avoir mis quelques traces de ta grande écriture. Quelque laid qu’il soit, je serai toujours enchantée de le voir arriver. Tu nous gâtes d’ailleurs depuis quelque temps et ceci est loin d’être un reproche.

Ici[2] nous sommes dans l’attente : ton papa[3] s’est décidé à partir de Paris ce matin pour Brunehautpré et de là dès demain pour Wimereux. Lucie[4] est toujours si fatiguée que cela nous ennuie quoiqu’elle ait des raisons de fatigue qui sont pour elle une très douce et consolante espérance[5]. Mais c’est encore très récent et elle ne m’a pas chargée de te le dire. Tout de même il n’est pas normal qu’elle soit dans cet état de faiblesse si grande qu’elle ne peut même pas faire le tour de son petit bosquet de pins ! Je suis navrée de la savoir si seule avec ses tristes pensées. Le Docteur Bouffe[6] que j’ai été consulter n’est pas inquiet, il croit à une dépression nerveuse consécutive à ses émotions et au continuel souci d’être si séparée d’Henri. Ton papa doit t’avoir écrit qu’il l’a vu ce dernier Jeudi. Il traversait Paris étant envoyé enfin, et grâce à l’intervention du Général Plantey, à Châlons pour y suivre un peloton afin de devenir sous-lieutenant. Il aura, comme Jacques[7], à suivre ensuite des cours à Beauvais.

Jacques paraît très satisfait de son sort et supporte très vaillamment jusqu’ici la fatigue du stage qui en comporte vraiment beaucoup. D’après Henri les stagiaires sont corvéables à merci et Jacques s’en est aperçu déjà, mais il s’est tiré à son honneur de quelques missions difficiles et on paraît déjà l’apprécier. Il est affecté, en plus des occupations extérieures, à un travail de bureau avec le fourrier, ce sont des journées de tranquillité qui doivent le délasser.

Nous n’avons rien de Pierre[8] depuis qu’il est au front, nous le croyons du côté au Sud du département.

T’ai-je dit que M. Martin était venu me voir en gare d’Amiens. Il prenait dès le lendemain part à l’attaque sur Maurepas et m’a donné des nouvelles depuis. C’est son changement de compagnie qui lui a sauvé la vie, celui qui l’a remplacé à la 5e a été tué ainsi que 2 autres sous-officiers et tous les officiers !.. un vrai carnage, dit-il. Il s’attend à faire une nouvelle attaque ce mois-ci. Charles[9] écrit à ton père qu’il a été jeter en Allemagne [le texte] de la déclaration de guerre de la Roumanie. Je ne t’ai pas encore écrit depuis que cet heureux événement s’est produit. Ton Filippesco[10] ne se trompait donc pas. On semble en ce moment se [réconcilier] pour s’élancer de nouveau.

Ton papa t’a envoyé de quoi enrayer les petites tendances au dérangement intestinal auxquelles il faut que tu sois très attentif. L’alcool de menthe est, je crois, un bon désinfectant.

Je t’embrasse tendrement,

Emy


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Ici : à Saint Cloud, où Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart, est sur le point d’accoucher.
  3. Damas Froissart.
  4. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote est à Wimereux ; elle vient de perdre l’un de ses 4 enfants.
  5. Annonce d’une grossesse : Odile Degroote naîtra en 1917.
  6. Possiblement le médecin accoucheur Gabriel Bouffe de Saint Blaise, né en 1862 à Saint-Omer, exerçant à l’hôpital Saint-Antoine à Paris.
  7. Jacques Froissart, frère de Louis.
  8. Pierre Froissart, frère de Louis.
  9. Charles non identifié.
  10. Maurice Filipesco, ami de Louis Froissart ?

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 3 septembre 1916. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Saint Cloud) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_3_septembre_1916&oldid=55187 (accédée le 19 mars 2024).

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