Dimanche 27 novembre 1859

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa petite-fille Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

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Paris 27 9bre1859

Ma Chère Caroline – Nous n'avons pas des nouvelles de Thann depuis plus de huit jours, que ton père[1] a écrit à son frère[2] et cette semaine nous a paru bien longue, quoique nous ayons été un peu rassurés sur les suites de cette sorte d'empoisonnement que ton Mari[3] et Léon[4] ont éprouvé et dont l'effet extraordinaire a été de très abondantes transpirations après la sensation d'un grand refroidissement. l'action de l'antimoine pour provoquer les sueurs est bien connue les médecins s'en servent souvent en administrant l'émétique à l'opium dans les poudres de <Durer> et dans ce qu'on nommait l'antimoine diaphorétique ou propre à déterminer des sueurs. c'est même même un remède que j'ai souvent employé avec succès dans les cas de Rhumatisme aigu – mais je n'ai jamais remarqué le refroidissement qui a précédé.

Voilà que je me trouve entraîné à parler de mon ancien métier – disons autres choses. Toi et ta mère[5] avez été fort occupées de cet événement dont nous avons appris tous les détails et nous savons qu'il n'a eu aucune suite.

Nous prenons une vive part au développement de notre petite marie[6] qui fait votre bonheur à tous. tout ce que nous raconte ton père nous fait participer à votre joie et nous sommes bien aise de te le dire.

Heureusement voilà Léon qui a recouvré son entrain et j'en suis bien content, j'espère qu'il répondra aux bons soins et conseils amicaux et bien éclairés de son beau-frère. Certainement il a beaucoup à apprendre ; mais l'occasion est belle et propice. il trouve chez vous de si heureuses applications de la mécanique et des actions chimiques qu'il y prendra goût.

c'est une si grande satisfaction de pouvoir se rendre compte de tous les effets qui se passent sous nos yeux qu'on doit à tous moments se demander les pourquoi ? Son père et moi avons toujours été naturellement observateurs. il n'a manqué à ton père que de bons yeux, mais il y a suppléé par la patience et la pertinacité que j'ai toujours admirées chez lui.

Nous espérons beaucoup que l'énergie et la bonne volonté à fur et à mesure qu'il se rendra < > compte des choses qu'il verra, l'encourageront au travail car rien ne s'obtient sans peine et le fort vouloir.

Ta mère Félicité est-elle tout à fait bien ? Les maux et dérangements d'estomac ont-ils tout à fait cessés ? on sait bien qu'elle n'en parle jamais et qu'elle ne veut pas qu'on s'occupe d'elle et cependant comme son mari n'en parle pas nous serions bien aises de savoir ce qui en est. il paraît que son intention est de passer auprès de toi la fin de cette année, que ton père va nous revenir et qu'il a le dessein d'aller la rechercher. Nous saurons mieux cela ces jours-ci.

Quand ton père nous a écrit, ton excellente belle-mère[7] était un peu indisposée. nous espérons bien que cela n'aura pas eu de suites. veuille lui dire quel intérêt nous portons à sa santé et combien elle a su nous inspirer de respect et de vénération, avec la grande reconnaissance pour l'amitié qu'elle te porte.

je ne te parle pas de ton mari qui comble notre famille de ses tendres attentions, nous n'en parlons qu'avec attendrissement et une gratitude que le cœur seul éprouve et ne saurait exprimer comme il sent.

Ton oncle Auguste[8] est d'une activité continue d'esprit et de facultés pour la mémoire qui me ferait envie si je n'étais pas son père – j'en suis réellement glorieux. j'ai assisté à l'ouverture de son cours au jardin et j'ai été émerveillé de son savoir, de son aisance et de la précision comme de la netteté avec lesquelles il rend ses idées.

Eugénie[9], depuis son retour d'Alençon, a repris toutes son activité pour faire suivre à Adèle ses études littéraires et musicales. Elle jouit aujourd'hui de l'entrain avec lequel sa fille se livre à tous les exercices auxquels il faut plutôt la retenir que l'exciter. Elle a changé le maître de Piano pour la livrer aux exercices d'une maîtresse dont la mère et la fille sont enchantées.

Ma belle-sœur[10], comme tu l’as su a été un peu préoccupée d'un dérangement de corps qui s'est renouvelé à plusieurs reprises, mais qui, par le fait, a été combattu très efficacement par un peu de diète. Elle a éprouvé également une petite foulure au pied en tombant de côté dans sa chambre, le pied n'étant chaussé que d'une pantoufle sans semelle. le mal n'a pas été grand, mais la marche a été pénible et l'est encore, de sorte qu'elle n'a pu, deux Dimanches de suite, aller à l'Eglise St-Médard. elle y est allée aujourd'hui en voiture.

Nous avons eu ces jours-ci à dîner la famille Latham et M. Pochet père[11] avec la Famille de Tarlé – on nous a servi un gigot des Ardennes envoyé par M. Malard[12], dont je trouve ainsi l'occasion de te donner de bonnes nouvelles de la nombreuse et intéressante lignée.

Pour en finir par moi – je suis toujours admirablement bien portant, sans rhume ni autre dérangement. Mon ouvrage est entièrement imprimé[13]. Il forme un énorme volume in 4° de 1 400 pages avec des figures intercalées au nombre de 400. Pour en rendre l'emploi moins incommode je l'ai fait diviser en deux tomes égaux. j'espère vous l'envoyer avant la fin de l'année.

Adieu, Ma Chère amie, je t'embrasse tendrement et je t'envoie les amitiés de toute la maison

C.Duméril

P.S. Adine et sa fille[14] sont venues passer une quinzaine de jours à Paris – elle a été si activement occupée qu'elle n'a pu venir dîner avec nous que deux fois. Nous attendons son mari d'ici à deux ou trois jours. il descendra au jardin.


Notes

  1. Louis Daniel Constant Duméril, en visite chez Caroline.
  2. Auguste Duméril, à Paris (nous n’avons pas cette lettre).
  3. Charles Mertzdorff.
  4. Léon Duméril, frère de Caroline.
  5. Félicité Duméril.
  6. La petite Marie Mertzdorff est née le 15 avril 1859.
  7. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff.
  8. Auguste Duméril.
  9. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril. Du 1er au 8 octobre Eugénie a séjourné, avec son mari et leur fille Adèle, chez son frère Charles Auguste Duméril qui est ingénieur, installé à Alençon avec sa famille.
  10. Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné.
  11. Louis François Pochet.
  12. André Malard à Charleville, chez qui André Marie Constant Duméril a séjourné la première semaine de septembre 1859.
  13. Son Entomologie analytique paraît en 1860 chez Firmin-Didot.
  14. Alexandrine Brémontier, dite Adine, épouse de Charles Auguste Duméril, et sa fille Clotilde alors âgée de 17 ans.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Dimanche 27 novembre 1859. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa petite-fille Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_27_novembre_1859&oldid=58260 (accédée le 29 mars 2024).

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