Dimanche 26 octobre (B) 1873

De Une correspondance familiale

Copie d’une lettre de Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril (Morschwiller) à son cousin Constant Duméril (Saint-Omer)


original de la copie de la lettre 1873-10-26B pages 1-4.jpg original de la copie de la lettre 1873-10-26B pages 2-3.jpg


Copie[1] de la lettre que j’ai écrite à Constant de Saint-Omer[2] le 26 8bre 1873.

Mon cher Constant,

Notre bonne sœur[3] nous a envoyé pour que nous puissions en prendre connaissance, l’excellente lettre qu’elle vient de recevoir de vous. Ces témoignages de cette vraie et touchante amitié que vous nous portez à tous nous ont vivement touchés, non pas que jamais nous ayons douté de vos sentiments pour la famille car vous avez été à même de nous les prouver en maintes circonstances, mais il est toujours si doux dans cette vie si remplie d’épreuves de recevoir de nouvelles preuves de la sympathie et de l’attachement des bons parents dont on est éloigné. Le commencement de cette année a été marqué pour nous d’un des plus douloureux événements dont nous pouvions être frappés. Eugénie Mertzdorff[4] devenue la seconde et tendre mère de nos chères petites[5], était comme ma chère Caroline[6] l’exemple de la société, ses vertus se confondaient avec celles de Caroline dont elle avait été l’amie la plus tendre, la plus dévouée.

Cette jeune femme si bien douée dans laquelle nous retrouvions une seconde fille, nous est ravie à son tour. Jugez de notre douleur à tous. Les malheurs de cette vie sont bien angoissants et douloureux, il n’y a certainement que la piété, la confiance en Dieu qui puissent soutenir et apporter du soulagement aux cœurs qui comme les nôtres, sont si éprouvés.

Dans un temps qui est déjà loin de nous, je voyais ma chère Caroline entre ses deux amies Eugénie et Aglaé Desnoyers[7]. Travail, leçons, amusements, tout se faisait en commun, et quand trois jours se passaient sans se voir, c’était pour les trois jeunes personnes si étroitement unies, un temps qui paraissait long. Il était donc dans les Décrets de Dieu que toutes trois devinssent l’une après l’autre les jeunes mères de nos chères petites-filles. Eugénie Mertzdorff avait commencé à leur faire suivre par correspondance à Vieux-Thann un cours[8] qu’elle avait suivi elle-même quand elle était jeune. Ce cours charmait extrêmement nos petites-filles, et Eugénie avait formé le projet, afin d’en tirer tout le parti possible, d’aller se fixer à Paris pendant quelques mois ; ce vœu de notre chère Eugénie est rempli aujourd’hui car sa sœur Aglaé (Mme Milne-Edwards) a installé chez elle, c’est à dire chez son beau-père[9] où elle demeure, nos chères petites auxquelles elle consacre tous ses soins ; toutes deux trouvent auprès de cette tendre tante et de son mari[10] si excellent la parfaite direction qu’elles avaient ici sous les yeux de leur bonne mère. Notre cher Charles Mertzdorff qui ne voit que l’avenir de ses enfants a souscrit de suite à cet arrangement. Il se partage entre Paris et Vieux-Thann où l’appellent ses affaires. Quant à nous qui devons rester ici[11] nous suivons par la pensée les êtres chéris dont nous recevons souvent des nouvelles. Nos chères petites-filles Marie et Emilie commencent à devenir grandes, l’aînée a 14 ans et demi et la cadette 12 et demi. Elles ont des caractères différents mais je puis dire que chacune dans son genre est charmante d’esprit et de caractère.

Je vous parle bien longuement de nous, mon cher Constant et je ne vous ai encore rien dit de la vive part que nous avons prise à votre chagrin en vous voyant séparé de vos deux filles[12] que nous aimons beaucoup. Anna doit bien souffrir, j’en suis sûre, une vie comme l’a été longtemps la sienne attire la sympathie et l’estime des gens de bien, et une personne de ce mérite qui fait une faute doit en avait le cœur bien attristé. Je crois que personne plus que moi ne professe de respect pour le ministère d’une bonne religieuse que je compare à celui d’un bon prêtre, aussi jamais je ne chercherai à détourner de l’état religieux une jeune personne qui en aurait profondément la vocation, mais je ne manquerais pas de dire qu’elle ne doit entrer en religion qu’après la mort de ses parents. Anna a donc mal agi en conduisant à votre insu sa jeune sœur dans un couvent. Nous voilà arrivés à la vieillesse, cher Constant, et plus que jamais une douce indulgence doit accompagner les dernières années de notre vie, cette indulgence ne réclame-t-elle pas le pardon pour les enfants vertueux qui n’ont à se reprocher qu’un moment d’oubli. Ramenez dans le cœur de vos deux chères filles le calme et la sérénité, leurs prières après avoir obtenu votre pardon, iront droit à Dieu, car vous le savez mieux que personne, Anna et Alice étaient le modèle des demoiselles de leur âge. Zénaïde[13] cette douce créature qui est au ciel vous le demande et m’inspire ce que je vous dis dans ce moment.

Adieu mon cher Constant &&.


Notes

  1. La copie est faite par Félicité Duméril elle-même.
  2. Constant Duméril.
  3. Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
  4. Eugénie Desnoyers (†), épouse de Charles Mertzdorff.
  5. Marie et Emilie Mertzdorff.
  6. Carolie Duméril (†), première épouse de Charles Mertzdorff.
  7. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards, sœur d’Eugénie (†).
  8. Le cours des dames Boblet-Charrier.
  9. Henri Milne-Edwards, qui habite au Jardin des plantes de Paris.
  10. Alphonse Milne-Edwards.
  11. Dans l’usine de Morschwiller.
  12. Anna et Alice Duméril, entrées en religion.
  13. Zénaïde Loisel (†), épouse de Constant Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original de la copie faite par Félicité Duméril

Pour citer cette page

« Dimanche 26 octobre (B) 1873. Copie d’une lettre de Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril (Morschwiller) à son cousin Constant Duméril (Saint-Omer) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_26_octobre_(B)_1873&oldid=58307 (accédée le 15 novembre 2024).

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