Dimanche 21 août 1870 (C)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1870-08-21C pages1-4.jpg original de la lettre 1870-08-21C pages2-3.jpg


21 Août 70

Mon cher Charles,

Les nouvelles paraissaient si sombres hier soir, que nous avons parlé sérieusement des conséquences d'un siège et chacun sans nous le dire, nous avons pensé qu'à cause des petites[1], il vaudrait peut-être mieux aller à Launay, malgré tout ce que je t'ai écrit. C'est un sacrifice qu'on me fait pour mes petites chéries, puisque Aglaé[2], Alfred[3] et Alphonse restent dans la capitale et que papa[4] quitterait sa bibliothèque avant sa fermeture. C'est l'impression morale du bruit de <la canonnade> et des obus que maman[5] et moi craignons pour nos fillettes puisque nous pouvons être ailleurs. Des environs de Paris on rentrera à la 1re alarme. En principe nous sommes donc disposés à nous rendre à ton désir et à aller à Launay, mais écris-nous toujours à Paris car nous ne partirons que si les ennemis dépassaient Châlons.

Nous n'avons pas revu Julien[6], on parle toujours d'éloigner la garde mobile et de la mettre dans les forts du N.E.

Si possible Julien nous le fera dire et nous irions lui faire une petite visite au camp avec les enfants.

Marie va bien, le nez encore gonflé et la figure jaunâtre mais ce ne sera rien ; grâce à Dieu. Ma petite Emilie un peu enrhumée, mais elle est sortie avec tante Aglaé et je vais aller les prendre pour les promener dans les galeries.

On a bien de la peine à travailler par le temps qui court, les journaux et les conversations prennent beaucoup de temps et l'esprit est absorbé.

Tu ne saurais croire combien il est pénible de fuir en quelque sorte devant le danger quand tant d'autres restent à leur poste chez eux ; ils ont bien raison et la leçon est dure, mais une autre fois je ne te quitterai plus ; on doit partager ensemble les mauvais comme les bons jours.

Que Dieu nous garde.

François et Pauline[7] viennent de partir à Montmorecy pour 3 jours, si les nouvelles devenaient trop mauvaises, on les rappellerait pas dépêche pour que nous puissions partir pour Launay.

Rien de plus sur M. Pavet[8] depuis le petit mot qui a appris sa blessure. Mme Pavet a appris cela avec courage voyant le côté rassurant, il échappe peut-être par là à la mort.

De Raymond[9] aucune nouvelle depuis le 14.

Bathilde[10] part aujourd'hui pour Avignon avec ses petites filles rejoindre son mari et Frédéric.

Nous avons de la pluie, ce matin j'ai été de bonne heure à l'Eglise, on a besoin de demander à Dieu de protéger notre pauvre pays et de donner à chacun la force nécessaire pour supporter selon sa position tant d'inquiétude. Que sa volonté soit faite.

Encore merci à oncle Georges[11] pour sa si bonne lettre.

Adieu Ami chéri, je t'embrasse bien fort. Je ne saurais te dire le plaisir que me font tes chères bonnes lettres, je te retrouve tout entier et t'en aime toujours de plus en plus

toute à toi

Eugénie M.

Papa est un peu fatigué, il finit le déménagement des pièces à livres, on les réclame toujours malgré la guerre, les architectes vont leur petit bonhomme de chemin.

Chacun t'envoie mille amitiés.

Je t'envoie le Gaulois, on donne de meilleures nouvelles. Bazaine et Mac Mahon seraient en communication, opérant leur retraite combinée. Espérons.


Notes

  1. Marie et Emilie Mertzdorff.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Alfred Desnoyers.
  4. Jules Desnoyers, bibliothécaire du Muséum.
  5. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  6. Julien Desnoyers.
  7. François et Pauline, domestiques chez les Desnoyers.
  8. Daniel Pavet de Courteille, époux de Louise Milne-Edwards.
  9. Raymond Duval.
  10. Bathilde Prévost, épouse d’Alphonse Duval, mère de Raymond, Frédéric, Hortense et Jeanne.
  11. Georges Heuchel.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 21 août 1870 (C). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_21_ao%C3%BBt_1870_(C)&oldid=39494 (accédée le 21 novembre 2024).

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