Dimanche 1er octobre 1916 (B)

De Une correspondance familiale



Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Saint Cloud) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-10-01B pages 1-4.jpg original de la lettre 1916-10-01B pages 2-3.jpg


1er Octobre[1]

Mon cher Louis,

Quand je t’ai écrit un petit mot mercredi[2], je comptais bien le faire suivre à très bref délai d’une vraie lettre et elle n’est pas venue, et c’est toi qui m’en écris deux. Ça c’est gentil ! Tu as appris la triste nouvelle de l’amputation de Dagens[3]. Michel[4] me l’a écrite et je pensais bien que tu l’apprenais de ton côté. Pauvre garçon, quel sacrifice ce doit être pour lui, pour sa famille aussi ! Mais enfin, il est sûr de vivre et c’est une assurance qu’il n’aurait pas s’il était resté valide. Il enseignera très bien avec un seul bras et cette mutilation lui donnera peut-être beaucoup d’ascendant sur ses élèves. Néanmoins je le plains de tout mon cœur, je plains beaucoup ses parents et j’ai hâte d’aller porter au cher garçon toute l’affection que vous ne pouvez lui porter vous-mêmes. Oui je l’aimais déjà beaucoup et je l’aime encore davantage et tu peux être sûr que je le lui témoignerai du mieux que je pourrai. Si je ne l’ai fait déjà c’est que je n’ai vraiment pas pu. Les communications ne sont pas faciles d’ici[5] et je pense qu’elles comporteront un certain chemin à pied aussi choisirai-je un jour qui ne soit pas le déluge. Ce sera peut-être bien Mardi. Car ce soir je vais coucher à Paris dans l’espoir d’y trouver ou tout au moins d’y voir arriver ton papa[6] qui ne savait pas s’il ne devrait pas attendre le Commandant Maure 24 heures à Ancenis.

J’ai été souvent à Paris cette semaine pour voir tante Marie[7], surtout ma pauvre Hélène[8] si triste et si seule, et puis j’y ai vu aussi la pauvre tante Cécile[9] qu’on vient d’amener dans une clinique Boulevard Arago (celle du Commandant Target[10]). Elle est partie Mercredi matin de Launay, son transport ayant été décidé très brusquement : il en était déjà question, mais l’arrivée du Général a décidé la chose et il a pris sur lui de hâter le transport, le facilitant d’ailleurs par l’envoi d’une auto d’ambulance. Marthe[11] qui était bien d’avis de revenir à Paris a été très heureuse de prendre cette décision en accord avec son beau-frère[12]. D’opération, je crois qu’il n’en peut plus être question, car c’est tout le bras et même tout le corps qui s’infecte. La pauvre malade qui a jusqu’à présent lutté contre la souffrance avec une rare énergie, se levant tous les matins comme d’habitude, se déclare vaincue et se décide à garder le lit. Je l’ai vue Vendredi. Je la trouve moins changée que tante M., mais la figure plus plaquée encore qu’auparavant. Ses yeux gardent tout leur brillant et son intelligence toute sa vivacité. Elle se rend très bien compte de son état et est convaincue qu’elle ne retournera jamais chez elle.

Tu vois que nous sommes entourés de bien des tristesses, que nous pouvons prévoir de prochaines et douloureuses séparations. Je m’en sens toute meurtrie ! et je voudrais prodiguer là aussi mon affection et mes attentions. Tout cela sera simplifié prochainement par notre retour à Paris. Il est question que j’y ramène Élise[13] dès Samedi et je reviendrais faire ici le déménagement.

Madeleine[14] revient le 9 à Paris pour y rester. Henri[15] ne vient décidément pas pour le cours général ayant la perspective d’une permission de 6 jours à prendre le 7 Octobre tandis que les 48 heures qu’il prendrait avant pourraient nuire à cette vraie permission.

Lucie[16] reste à Wimereux jusqu’au départ d’Henri. J’imagine que ton papa restera en conséquence quelques jours à Paris et n’en partira qu’avec Élise, peut-être vers le 15, mais ce sont des hypothèses à ma façon. Nous sommes d’ailleurs menacés d’une invasion d’État-major anglais à Brunehautpré. Je n’ai pas de détails. Je t’embrasse tendrement. Merci des nouvelles que tu me donnes de ta santé. Soigne-toi bien.

Emy


Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Probablement la carte-lettre datée du 28 septembre.
  3. Jean Dagens, fils de Gabriel Dagens et Jeanne Laporte.
  4. Michel Froissart, frère de Louis.
  5. Émilie est auprès de sa belle-fille Élise à Saint Cloud ; à Paris elle habite rue de Sèvres.
  6. Damas Froissart.
  7. Marie Stackler, veuve de Léon Duméril.
  8. Hélène Duméril, épouse de Guy de Place et fille de la précédente.
  9. Cécile Milne-Edwards, veuve d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  10. Louis Target.
  11. Marthe Pavet de Courteille, veuve de Jean Dumas.
  12. Probablement le général Jean Baptiste Noël Dumas.
  13. Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  14. Madeleine Froissart, épouse de Guy Colmet Daâge.
  15. Henri Degroote.
  16. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 1er octobre 1916 (B). Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Saint Cloud) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_1er_octobre_1916_(B)&oldid=59538 (accédée le 19 mars 2024).

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