Dimanche 19 décembre 1880 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1880-12-19A pages 1-4.jpg original de la lettre 1880-12-19A pages 2-3.jpg


Paris 19 Décembre 1880.

Mon cher Papa,

Comme je pense bien qu’Émilie[1] n’aura pas le temps de t’écrire aujourd’hui je tiens à venir te faire ma petite visite du Dimanche ; si tu as comme nous de la pluie et du vent je me figure que je n’aurai pas à aller te chercher bien loin et que que je vais te découvrir avec ton petit vêtement ouaté et tes pantoufles dans ton cabinet ou dans le petit salon, c’est là où je m’installe pour causer bien tranquillement avec toi car par hasard je suis toute seule aussi. Marcel[2] est allé voir M. Dufaure[3] auquel il avait promis depuis plusieurs jours sa visite et moi je devais aller passer ce temps-là au Jardin ; mais hier notre mère[4] a eu 2 billets de Conservatoire qu’elle m’a chargée d’offrir de sa part à tante[5] et les yeux brillants de joie d’Émilie ont décidé de suite cette bonne tante à l’accompagner au concert ; elles vont donc entendre toute la journée de la musique et reviendront peut-être ce soir avec un mal de tête bien conditionnée mais c’est mal à moi de dire des choses pareilles. Oncle[6] déjeunait chez M. Grandidier[7]. Moi je me plonge dans mon roman anglais (en langue originale, mon Papa) et je me passionne pour Marie Stuart ; dans un instant j’irai aux vêpres puis f dire un petit bonjour aux Arnould[8] et je rentrerai à peu près en même temps que Marcel. Ce soir nous dînons en famille chez notre mère. Te voilà au courant, mon Père chéri, de l’emploi de la journée de chacun et comme je devine ce que tu auras fait de la tienne nous sommes au moins tous unis par la pensée.
Mon pauvre mari a été repris Vendredi de sa douleur dans l’épaule et dans la nuque, il était tout penché et pouvait à peine remuer ; grâce à un bon papier Lardy[9], à de l’huile camphrée et à d’épaisses couches de ouate il est maintenant débarrassé de son mal ; c’est très ennuyeux qu’il soit atteint de la sorte c’est la 1ère fois qu’il a du rhumatisme, j’espère bien que ce sera la dernière mais malheureusement je crois que ces vilaines douleurs deviennent souvent hôtes d’habitude.

Hier voulant proposer à tante les billets de concert j’ai été la trouver rue du Bac et j’ai assisté à tout le cours de littérature d’Émilie, ce qui m’a rajeunie et beaucoup intéressée. Notre pauvre Louise[10] est dans les ennuis en ce moment ; sa bonne d’enfant, nounou, est prise de rhumatismes dans les bras et les jambes qui la retiennent au lit et la font beaucoup souffrir, le médecin dit que ce sera long ! et elle n’a pour soigner ses 4 enfants que la fille de nounou âgée de 17 ans qu’elle avait prise comme supplément. Aussi tu devines si la maman se fatigue, il faudra qu’elle trouve une combinaison quelconque mais en attendant elle a tout son petit monde sur les bras et si elle prend trop de fatigue son lait s’en ressentira ; heureusement qu’elle se porte à merveille.
Moi je ne connais encore aucun de ces soucis-là ; je vis comme un coq en pâte, menant une petite vie bien douce heureuse et tranquille et pensant seulement à l’avenir. Aussi je prétends que je suis en vacances et que j’ai encore 2 mois de liberté devant moi avant d’être prise pour des années entières[11].

Adieu, mon Père chéri, arrive bientôt pour jouir avec moi de ces derniers temps de calme, on annonçait ce matin la fête de Noël et je pensais avec joie qu’elle allait nous amener notre Père chéri.
Je t’embrasse en attendant du fond de mon cœur, ta fille,

Marie


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Marcel de Fréville, époux de Marie Mertzdorff.
  3. Amédée Dufaure.
  4. Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Alphonse Milne-Edwards.
  7. Probablement Alfred Grandidier.
  8. La famille d’Edmond Arnould.
  9. Les pharmacies vendent le « Papier Lardy » à l'extrait de piment qui « déplace le mal en attirant le sang vers la peau », et donne « des résultats remarquables » « dans les rhumes aigus ou chroniques, bronchites, catarrhes, asthme, irritations de la poitrine ou de la gorge, ainsi que dans les douleurs, sciatique, lumbago, etc. ».
  10. Louise de Fréville, épouse de Roger Charles Maurice Barbier de la Serre et mère de Louis, Etienne, Maurice et René Barbier de la Serre.
  11. Sa fille Jeanne de Fréville naîtra le 29 mars 1881.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 19 décembre 1880 (A). Lettre de Marie Mertzdorff (épouse de Marcel de Fréville) (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_19_d%C3%A9cembre_1880_(A)&oldid=59318 (accédée le 15 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.