Dimanche 15 septembre 1901

De Une correspondance familiale



Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (château de Livet dans l'Orne)


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Campagne, 15 7bre 01

Ma chère petite Mie,

Que tu es gentille de m’écrire si souvent ! tu penses que l’absence de mon mari[1] me paraît longue, que ces séparations continuelles me semblent tristes et tu veux me consoler en venant souvent causer avec moi. Je te reconnais là petite sœur chérie, et je te remercie de cette délicate attention à laquelle je suis très sensible, car, en effet ces pauvres vacances où nous n’arrivons pas à être tous réunis me paraissent tristes. Dans 15 jours ce sera le tour de Jacques[2] de s’en aller et c’est à peine si nous aurons pu être quelques jours tous ensemble. Quelle vilaine chose que les séparations !

J’ai heureusement de bonnes nouvelles de mon cher mari et chaque lettre que je reçois est pour moi un soulagement car il ne faut pas se dissimuler que les manœuvres ressemblent de très près à la guerre et que, si l’on ne court pas le danger d’être tué, il en reste bien d’autres : refroidissement, chutes de cheval, fatigue && ils Soldats et officiers mènent une vie bien dure et il faut être très entraîné pour résister sans trop en souffrir. C’est à peine s’ils ont le temps de dormir, encore moins celui de manger, les heures des repas sont livrées aux hasards de la guerre et souvent ils consistent en un petit morceau mangé sur le pouce, en plein air. [Mardi] ils étaient étant à cheval depuis 5h du matin ils n’ont pu manger ce petit morceau qu’à 2h1/2 et ils avaient eu à subir un orage épouvantable sans pouvoir s’abriter ; souvent ce n’est qu’à 9h du soir qu’ils peuvent arriver à leur gîte et y trouver à dîner. Heureusement que le temps, à part deux jours d’orages, est assez beau : pour les pauvres soldats qui n’ont pas de vêtements de rechange les manœuvres par la pluie sont terribles.

Nous sommes rentrés hier à 3h à Brunehautpré et nous sommes allés presque tout de suite à Campagne voir la pauvre bonne-maman[3] qui était bien contente de nous revoir. Je passe aujourd’hui la matinée chez elle ; Jacques est parti en bicyclette pour Bamières. Demain il a une dernière visite de ses amis Paix[4] : ils partent Mardi pour aller voir le czar à Dunkerque[5], ensuite c’est Jacques qui partira pour la revue et, au retour, les Paix auront sans doute quitté le Touquet.

Je voudrais bien que cette visite du czar soit déjà chose faite, on ne sera tranquille que lorsqu’il sera parti de chez nous sans accident ! Pauvre Mac Kinley[6] ! il ne fait vraiment pas bon être dans les honneurs à notre époque.

Adieu ma chérie, je t’embrasse tendrement.

Mille bonnes amitiés autour de toi.

Ta vieille sœur.

Émilie


Notes

  1. Damas Froissart, militaire en manœuvres.
  2. Jacques Froissart, pensionnaire au collège des jésuites à Antoing (Belgique).
  3. Aurélie Parenty, veuve de Joseph Damas Froissart.
  4. Les fils de Paul Paix qui sont de son âge : probablement Édouard, Paul Marie et Ernest Paix.
  5. Nicolas II est reçu à Dunkerque le 18 Septembre 1901 par le président de la République française Émile Loubet.
  6. William McKinley, président des États-Unis, assassiné le 6 septembre 1901 alors qu'il visitait une exposition à Buffalo ; il meut le 14 septembre.

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Dimanche 15 septembre 1901. Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (château de Livet dans l'Orne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_15_septembre_1901&oldid=55482 (accédée le 18 avril 2024).

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