Dimanche 14 octobre 1877
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann), avec un ajout d’Aglaé Desnoyers-Milne-Edwards
Paris le 14 Octobre 1877
Mon cher Papa,
Grâce à toi voilà tous nos goûters assurés pour longtemps tous les jours nous pourrons manger une bonne petite poire de Vieux-Thann sans presque faire de [brèche] ; quelle quantité énorme tu nous as envoyée ! c’était une caisse extraordinairement profonde et hier au soir nous avons tous travaillé pendant près d’une heure pour la vider, oncle[1] s’était mis de la partie aussi cela a-t-il marché très lestement. Merci mon petit père, d’avoir pris la peine de nous faire cet envoi, tout est arrivé en très bon état pas une poire abîmée ou gâtée et dans le nombre beaucoup de très beaux fruits. Même les petits gâteaux que nous soupçonnons Thérèse[2] d’avoir placés sur le dessus sont arrivés sans encombre et ont trouvé des amateurs. Dis à Thérèse que nous avons été très sensibles à son attention.
Et maintenant que je t’ai remercié des poires, mon papa chéri, il faut que je t’adresse d’autres remerciements non moins sincères pour ta bonne lettre arrivée le matin et qui nous a comme toujours fait un bien grand plaisir ; je vois que tu vas bien et que tu n’as pas d’ennuis, c’est là le principal. Que fais-tu en ce moment, mon bon Père ? je te cherche dans toute la maison mais comme il fait un temps superbe peut-être es-tu au billard ou dans le jardin ; veux-tu m’emmener promener ? Justement nous n’allons pas sortir ; nous devions faire une grande course à pied avec oncle pour entretenir nos bonnes habitudes des vacances mais comme par [un fait exprès] oncle a reçu une lettre d’un M. qui doit venir avec sa femme à 2h1/2 pour aller dans la ménagerie ; il nous faut donc rester à l’attendre ; avoue que c’est bien vexant ! Et juste le soleil est si beau, on se croirait encore à Cannes ! C’est aujourd’hui les élections[3] ce qui m’amuse beaucoup car de la fenêtre de notre chambre je vois aller et venir tous les citoyens qui viennent voter à l’administration, il y a beaucoup de monde mais on est on ne peut plus tranquille, hier un pauvre petit candidat imprimé sur du papier fané (probablement qu’il l’aura eu à bon marché) est venu se coller de place en place à côté de Louis Blanc mais personne ne le connaît il s’appelle La Serre et se déclare comme [un] titre : bachelier ès lettres ! il y en a beaucoup en France ! En parlant de républicains je me rappelle que c’est demain que Jeanne Scheurer[4] aura 20 ans ; pauvre fille je ne voudrais pas être elle ; que deviendra-t-elle un jour ?
Hier nous avons été au cours auquel j’assiste régulièrement, il n’y a rien eu de particulier, en revenant nous sommes entrées chez Marie Flandrin mais nous ne l’avons malheureusement pas trouvée. A propos de Marie ou plutôt de son père[5] il faut que je t’annonce une grande nouvelle ; cette bonne tante[6] pour chercher à m’encourager dans mon dessin a fait tout ce qu’elle a pu pour obtenir de M. Flandrin qu’il voulut bien me donner quelques leçons avant le commencement de ses cours c'est-à-dire le 25 9bre ; ses cours me prendraient trop de temps mais une leçon me ravira et redonnera de l’ardeur à la maîtresse[7] et à l’élève ; M. Flandrin a bien accepté je vais donc probablement y aller pendant un mois une ou 2 fois par semaine ; approuves-tu cette combinaison ? Dans tous les cas je suis enchantée quoique fort intimidée et je vais tâcher d’en bien profiter. Ce n’est cependant pas encore tout à fait décidé. Adieu, mon bon papa chéri, je t’embrasse bien bien fort comme j’aimerais tant à le faire en réalité. J’embrasse aussi bon-papa et bonne-maman[8].
Ta fille qui t’aime de tout son cœur,
Marie
Je vous plains bien d’avoir si froid à Vieux-Thann, ici la température est très supportable.
Mon cher Charles,
Je ne veux pas laisser partir cette lettre sans venir aussi vous remercier de votre attention. Ces belles poires nous feront penser bien des fois à ce cher Vieux-Thann ; nous n’avons cependant pas besoin de cela pour y penser ; bien d’autres motifs nous y attirent. Il fait un temps si beau que nous partons chez Louise[9] où on va faire une partie de croquet avec Marthe[10]. Le ciel est bleu comme celui de Cannes.
Les santés sont excellentes et je peux vous assurer qu’on vous aime bien tendrement,
Aglaé
Notes
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Thérèse Neeff, employée par Charles Mertzdorff.
- ↑ Premier tour des élections législatives.
- ↑ Jeanne Scheurer-Kestner.
- ↑ Paul Flandrin.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Marie Louise Duponchel, professeur de dessin.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille, sa fille.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 14 octobre 1877. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann), avec un ajout d’Aglaé Desnoyers-Milne-Edwards », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_14_octobre_1877&oldid=42580 (accédée le 22 décembre 2024).
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